Accusé d’avoir reçu vingt millions de dollars pour favoriser l’entreprise BTP brésilienne Odebrecht (encore elle !), l’ancien président Alejandro Toledo est-il toujours aux États-Unis, son pays de résidence, en France, où il serait passé, ou en Israël où il envisageait de voyager ? Confusion autour de l’alerte rouge d’Interpol à Lyon.
Photo : El Comercio
Le juge anticorruption Hamilton Castro a remis au juge Richard Concepción Carhuancho, un document qui prouverait que l’ancien président Alejandro Toledo aurait reçu plus de 20 millions de dollars en pots-de-vin de l’entreprise Odebrecht pour que le gouvernement octroie à celle-ci la construction de deux grands tronçons de la route interocéanique qui doit relier la côte atlantique brésilienne à la côte pacifique péruvienne. Le ministère public demande une décision de peine de prison préventive de 18 mois contre Toledo, accusé de trafic d’influence et de blanchiment d’argent de corruption. Mais il faut d’abord le trouver ! Alors, le gouvernement offre une récompense de 100 000 soles (28 000 €) à qui « fournit une information qui permette d’arrêter le fugitif ».
Aveux au Brésil, accusations au Pérou ! Des anciens présidents sur la sellette. Le scandale Petrobras au Brésil continue à émettre des ondes de choc aux plus hauts niveaux. Pour alléger considérablement sa condamnation à 19 ans de prison pour corruption à dimension continentale, Marcelo Odebrecht « a tout avoué ». Il a ainsi impliqué de nombreuses personnalités dans une douzaine de pays, y compris des anciens présidents. La justice péruvienne se penche particulièrement sur des accusations de corruption visant l’ancien président Toledo (2001-2006) mais ses collègues Alan García (1985-1990 et 2006-2011) et Ollanta Humala (2011-2016) seraient également dans le collimateur, ainsi que le président actuel Pedro Pablo Kuczynski qui fut ministre de l’Économie de Toledo.
La trame de corruption dévoilée. La justice base ses accusations sur les déclarations de Jorge Simoes Barata, l’homme fort d’Odebrecht au Pérou, qui a avoué avoir payé Toledo en versant des sommes convenues sur des comptes offshore appartenant à Josef Maiman, un homme d’affaires israelo-péruvien. On parle de 18 versements d’Odebrecht aux offshores de Maiman, mais le bénéficiaire réel et final serait bien Toledo. Les deux hommes ont été mis en examen.
Mais où est donc Alejandro Toledo ? Chercheur à l’université de Stanford, Alejandro Toledo réside habituellement en Californie aux États-Unis. La justice péruvienne a envoyé une demande d’extradition à son homologue états-unien, appuyée par une demande semblable personnelle du président Kuczynski à son homologue Donald Trump. Mais on ne sait pas vraiment où il se trouve. On croit savoir que l’ancien président aurait voyagé en France, serait reparti en Californie et reparti vers Israël car sa femme, Eliana Karp de nationalité belge est d’ascendance juive, son associé Maiman est israélien et le Pérou et Israël n’ont pas de traité d’extradition. Les autorités israéliennes ont cependant indiqué que Toledo n’était pas dans l’avion en provenance de San Francisco et qu’elles ne l’accueilleraient pas en Israël.
Un « fugitif » qui ne l’est pas vraiment. « Je ne me suis enfui de rien du tout. Ils m’appellent fugitif, mais quand j’ai quitté le Pérou, il n’y avait encore aucune accusation contre moi. C’est une distorsion machiavéliquement politique contre moi, que je rejette ». Et d’ajouter : « Je me défendrai », mais seulement dans les conditions d’une « justice juste ». En s’exprimant sur les réseaux sociaux, il insiste : « j’ai droit à la présomption d’innocence et le respect du droit à un procès juste ».
Confusion autour de la notice rouge d’Interpol. La justice péruvienne a demandé à Interpol (dont le siège mondial est à Lyon) de lancer une notice rouge contre Toledo. En plaçant une notice rouge contre quelqu’un, Interpol aide les polices à identifier et localiser des individus recherchés par des juridictions nationales dans l’optique de leur arrestation et de leur extradition. Contrairement à ce qui est souvent diffusé, la notice n’est pas un mandat d’arrêt international, c’est un soutien aux mandats d’arrêt nationaux. Pour qu’elle soit applicable aux États-Unis, il faut qu’un juge états-unien signe d’abord un mandat d’arrêt. Or, le département de justice a fait savoir à son homologue péruvien que ses documents accusatoires étaient un peu légers et qu’il fallait envoyer des documents et des accusations plus précis. L’ancien président n’est donc pas encore sous la menace d’une arrestation aux États-Unis et il peut les quitter sans opposition. C’est ce que craint la justice péruvienne. Si les preuves ne sont pas concluantes, il n’y a pas de raison de l’arrêter ; si les preuves sont avérées, ce qui semble le cas, Toledo sera retrouvé un jour ou l’autre.
Jac Forton