Elle était rousse et pourtant d’Algérie. Une fille de Saïda, sur le haut plateau au sud de l’Oranie. Et puis elle était italienne et espagnole. Enfant, quand on lui demandait son nom, elle répondait Tizoizo, mais elle s’appelait Bertille Gazzo. Dans l’écurie des éditions Métailié, elle devint la grande, la meilleure traductrice de la littérature du Chili, un pays qu’elle aimait tant. Un hommage d’Albert Bensoussan.
Photo : Chili et carnets – WordPress
Son prénom, si peu courant et fascinant, avait été créé exprès pour les rayons de ses yeux. Un visage encadré de flamme, et tout son être était de passion. Et de charme. Ses yeux, quelle couleur ? Moi je les ai toujours vus topaze, et sans doute étaient-ils entre vert et bleu, mais je savais qu’elle avait des yeux de miel. Nous nous sommes aimés sans pouvoir nous aimer. Sans pouvoir vivre ensemble. À tout jamais son baiser fondit sur mes lèvres. Elle était si belle quand elle découvrit que nous pouvions nous éprendre alors même qu’un train nous déprenait pour nous rejeter dans la brume des frontières. Et elle était si belle quand elle me rejoignit à Bordeaux pour assister à la première de La Demoiselle de Tacna. Si heureuse d’une soirée où Mario fit le joli cœur et elle buvait ses paroles, comme plus tard à Lyon, pour la première de La Chunga, elle chavira dans ses bras pour une valse créole. Elle dansait si bien, en professionnelle, qu’elle me fit un jour une exhibition de sevillana, arrondissant les bras, cognant les doigts.
Je sais qu’elle me considérait comme son grand frère et son ami. Toute sa vie. Elle me dédia le prix de traduction qu’elle reçut, Rhône-Alpes, pour donner de la voix à quelque auteur chilien au désert d’Atacama. Car elle avait de l’affection pour celui qui la fit entrer en traduction. Dans l’écurie de Métailié, elle devint la grande, la meilleure traductrice de la littérature du Chili, un pays qu’elle aimait tant et qu’elle servit avec une plume toujours exigeante, élégante et belle.
Une traduction de Bertille était une leçon de littérature française. Car comme tant de ceux qui naquirent outre-mer, elle avait le goût du beau langage. Souvent en fin de matinée, elle m’appelait pour me lire telle phrase difficile ou retorse qu’elle remettait sur les rails et rendait toujours en la polissant, telle une pierre précieuse. Une gemme – elle-même. Et j’avais hâte de l’entendre, de l’écouter, de me bercer de sa belle voix de miel – comme ce regard qui, un jour, me sidéra. Plus jamais ses yeux, sa voix. Mais toujours Bertille.
Albert BENSOUSSAN *
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Traducteur