Le 22 décembre dernier, le département de justice des États-Unis accusait l’entreprise de BTP brésilienne Odebrecht d’avoir contrevenu aux lois états-uniennes sur la prévention de la corruption en ayant versé des centaines de millions de dollars en dessous de table à des ministres, des parlementaires, des hauts fonctionnaires, des partis politiques et des politiciens de douze pays latino-américains, afin d’obtenir des contrats juteux. Les confessions de Marcelo Odebrecht.
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La procédure Lava Jato. En 2014, le juge brésilien Sergio Moro ouvrait une procédure qui mettait au jour une vaste entreprise de corruption généralisée touchant Petrobras, l’entreprise nationale du pétrole, les principaux partis politiques et des dizaines de parlementaires, ministres et hommes d’affaires. Elle deviendra connue sous le nom de Lava Jato ou Lavage Express. Après deux ans d’enquêtes, le juge a mis en examen des dizaines de parlementaires de divers grands partis de toutes tendances politiques et emprisonné de nombreux dirigeants de plusieurs entreprises du BTP brésilien (Bâtiment-Travaux publics). Parmi ceux-ci, Marcelo Odebrecht, PDG de l’entreprise du même nom, condamné à 19 ans de prison par le juge pour corruption, blanchiment d’argent et association criminelle.
Le scandale Petrobras. Le système mis au point par les BTP et Petrobras consistait en la surfacturation des travaux d’infrastructure demandés par Petrobras, parfois à hauteur de plusieurs centaines de millions de dollars. Le produit de la surfacturation des contrats était ensuite reversé aux responsables de Petrobras, aux parlementaires et aux partis politiques qui favorisaient ensuite ces entreprises lors des appels d’offre.
La corruption style Odebrecht. Odebrecht est la principale BTP d’Amérique latine. L’entreprise ayant une dimension internationale, elle utilisait le même système de corruption dans douze pays de l’Amérique latine. Elle avait créé une Division des Opérations Structurelles (DOS), véritable département « corruption » consistant en une comptabilité parallèle fonctionnant par des logiciels appelés MyWebDay et Drousys, situés en Suisse, créés spécialement pour verser les virements. La DOS a ensuite racheté la filiale de la banque autrichienne Meini située sur l’île d’Antigua, dans les Caraïbes pour y faire passer les sommes destinées aux pots-de-vin, puis à travers tout un circuit de comptes secrets situés dans des paradis fiscaux jusqu’au destinataire final. Une alternative était l’utilisation de mules qui remettaient des sacs pleins de billets à des intermédiaires et à des endroits choisis par les corrompus. Odebrecht « achetait » ainsi les faveurs de hauts fonctionnaires et de politiciens pour qu’ils la choisissent plutôt qu’une autre entreprise pour les grands travaux d’infrastructure.
L’opération délation récompensée. Pour aller au fond des choses, le juge Moro a offert une alternative aux 77 dirigeants de l’entreprise qu’il avait emprisonnés pour corruption : de longues peines de prison ou la délation récompensée. Celle-ci consiste en « dire tout ce qu’ils savent » sur le système de corruption en échange d’une réduction substantielle de leurs peines. Tous se sont évidemment empressés de choisir cette dernière alternative, en particulier Marcelo Odebrecht… Ses confessions ont révélé l’ampleur et la dimension internationale de la corruption. Odebrecht avait ainsi réalisé de juteuses affaires non seulement au Brésil (ses 349 millions de pots-de-vin lui ont rapporté 1,9 milliards de bénéfices), mais aussi en Colombie, au Venezuela, en République dominicaine, au Panama, au Guatemala, en Équateur, au Pérou, en Argentine et au Mexique. On parle de 788 millions de dollars de pots-de-vin qui ont rapporté 3,4 milliards de dollars à Odebrecht !
La crainte de réactions populaires. La plupart des gouvernements des pays impliqués ont immédiatement lancé leurs propres procédures d’enquête pour déterminer qui, dans le pays, a bénéficié de cette corruption généralisée. En effet, la colère populaire provoquée par cette corruption massive aux plus hauts niveaux de la société attise le sentiment du « tous pourris » et soumet la démocratie à dure épreuve. On s’attend donc à ce que de nombreux politiciens importants et des fonctionnaires de haut rang tombent un peu partout dans les mois prochains.
Déjà, rien qu’au Brésil, six des ministres du président de facto Michel Temer ont dû démissionner en six mois, accusés de corruption par la justice, et Temer lui-même est sur la sellette. Au Guatemala, le président Otto Pérez Molina et sa vice-présidente Roxana Baldetti ont été forcés d’abandonner leurs postes suite à la pression populaire indignée par l’organisation de fraudes massives aux plus hauts niveaux de l’État.
Des amendes carabinées. Les ministères publics du Brésil (origine de la corruption) et de la Suisse (siège des logiciels de comptabilité), ainsi que le département de justice US qui a déterminé le parcours de la corruption ont décidé d’infliger de lourdes amendes à Odebrecht : elle devra payer plus de 3 milliards de dollars … En Équateur, un juge a interdit aux institutions publiques tout contrat avec Odebrecht jusqu’à ce que le niveau de corruption et le nom des agents corrompus soient connus. Le président Rafael Correa avait déjà expulsé Odebrecht du pays en 2008 pour « irrégularités » mais autorisé son retour en 2010 après que l’entreprise a accepté les conditions imposées par le gouvernement. La plupart des filiales Odebrecht dans les pays impliqués ont fait savoir « qu’elles coopéreraient avec la justice« . L’argent et la morale des transnationales n’ont pas d’odeur…
Jac FORTON