À vingt ans des accords de paix, une analyse du Collectif Guatemala de Paris

En cette fin décembre 2016, le Guatemala célèbre les vingt ans des accords de paix qui mirent fin à l’un des conflits armés internes les plus longs et sanglants de toute l’Amérique latine. Pour le Collectif Guatemala, – une association dont l’objectif est le soutien aux organisations de droits humains et au mouvement social et indigène guatémaltèques –  force est de constater que la paix instaurée par les Accords de 1996 est une paix faite à la mesure de « l’alliance qui a gagné la guerre » : celle des militaires et de l’élite économique.

Photo : Terdav

La paix des vainqueurs (1).  Comme tous les anniversaires, celui-ci appelle à dresser un bilan, à évaluer ce qui a fonctionné et ce qui a échoué, à identifier les bonnes pratiques et les erreurs à ne pas répéter. Comme l’affirme Fernando Solís, économiste et coordinateur de la revue El Observador, « l’implantation du modèle de démocratie » a produit un changement structurel, qui a débouché sur un nouveau « modèle d’accumulation », calqué sur le modèle néolibéral du consensus de Washington (2). Une fois l’obstacle de la guérilla écarté, le gouvernement a pu abaisser les barrières douanières pour faciliter le commerce international et favoriser l’afflux de capital étranger.

Parallèlement, de larges pans de l’économie nationale ont été privatisés ou libéralisés, notamment dans les secteurs des mines, du pétrole et de l’électricité. Dans ce contexte, se sont formées des alliances entre des familles de l’oligarchie guatémaltèque et des entreprises transnationales, autour de trois grands axes d’accumulation : les monocultures (palmier à huile, canne à sucre, caoutchouc etc.), les industries extractives (mines et pétrole) et mégaprojets d’infrastructures (centrales hydroélectriques, routes, ports, aéroports).

Une nouvelle ère de pillage ?   Entreprises transnationales, centrales hydroélectriques, mines… des termes au centre de la « conflictivité sociale » et des violations des droits humains ces dernières années. Les accords de 1996, censés établir une paix « ferme et durable », ont donc en réalité ouvert la voie à une « nouvelle ère de pillage », voire à un « quatrième génocide » pour certaines organisations mayas. Les peuples autochtones sont en effet les premières victimes du système actuel, leurs territoires attirant la convoitise des entreprises extractives, soutenues par l’État, tandis que les dispositions en leur faveur contenues dans les accords de paix sont loin d’avoir été mises en œuvre.

Cette « nouvelle ère » repose néanmoins toujours sur des fondements forgés dans le feu de la lutte contre-insurrectionnelle, lorsque les grands entrepreneurs, craignant pour leur sécurité et leurs intérêts, soutinrent politiquement, économiquement et militairement les juntes militaires. Une alliance fluctuante et contradictoire, laissant parfois la place à des confrontations ouvertes, mais qui sait se recomposer lorsque les circonstances l’exigent. Dernier exemple en date, l’offensive conjointe d’ex-militaires proches du président Jimmy Morales, d’entrepreneurs mis en cause par la justice, de fonctionnaires du gouvernement précédent et de députés, afin de reprendre la présidence du Congrès et de bloquer ainsi toute réforme du système politique et perpétuer le pillage de l’État. Dans le reste du pays, cette alliance se traduit par la perpétuation des techniques de contre-insurrection, utilisées non plus pour combattre la guérilla mais désarticuler l’opposition aux projets qui accaparent les terres et utilisent les ressources naturelles. Vingt ans après, le Guatemala est là pour nous rappeler que la paix peut être la continuation de la guerre par d’autres moyens.

Cyril BENOIT

(1) Un article publié dans le bulletin Solidarité Guatemala n° 219 du Collectif Guatemala. Intertitres et mise en page de Jac Forton.   (2) Sebastián Escalón, La nueva era del saqueo, Plaza Pública du 6 novembre 2016.