Juan Manuel Santos : de foudre de guerre à artisan de la paix

Le président colombien Juan Manuel Santos vient de recevoir le prix Nobel de la Paix pour « ses efforts intenses pour terminer une guerre civile de 50 ans. Ce Prix est aussi un tribut au peuple colombien qui, malgré les difficultés, ne s’est pas avoué vaincu dans sa recherche d’une paix juste… C’est aussi un Prix pour les toutes les victimes du conflit ».

Et c’est bien ainsi que l’entend le président : « Colombiens, ce Prix est le vôtre, celui des victimes, pour qu’il n’y ait pas un mort de plus… » Pour Kaci Kullman Five, présidente du Comité Norvège du Prix Nobel, « Le peuple de la Colombie n’a pas dit non à la paix, il a dit non à cet accord en particulier… C’est le moment d’ouvrir un dialogue entre toutes les parties de la société pour essayer de faire avancer ce processus ». Selon Rodrigo ‘Timochenko’ Londoño, chef des FARC, « Le seul Prix auquel cette guérilla aspire est celui de la paix avec justice sociale, sans paramilitaires, sans vengeance, sans mensonges »…

Qui est Juan Manuel Santos ? Né à Bogotá en 1951 dans une famille bourgeoise propriétaire du quotidien El Tiempo, il fait des études à Harvard aux États-Unis et à Londres. Entre 1972 et 1981, il représente la Fédération nationale colombienne des producteurs de café auprès de l’Organisation internationale du café à Londres. Il entre au Parti Libéral Colombien. Il sera successivement Ministre du commerce extérieur sous la présidence du libéral César Gaviria  et du Budget sous celle du conservateur Andrés Pastrana. En 2005, il est co-fondateur du Parti de l’unité nationale (connu comme le ‘Parti de la U’) de l’ancien président Álvaro Uribe (2002-2010).

D’opposant féroce aux FARC… En 2006, il devient le ministre de la Défense d’Álvaro Uribe. Son objectif : la destruction des FARC par tous les moyens militaires possibles. Il fait ainsi bombarder des camps de la guérilla pour en éliminer ses principaux responsables, allant même jusqu’à bombarder un camp situé en Équateur pour tuer Raúl Reyes, un commandant des FARC (ainsi que 30 autres personnes de diverses nationalités !), ce qui provoquera une grave crise diplomatique entre les deux pays. Aidé par les États-Unis, il élimine plusieurs des principaux responsables des FARC. C’est peut-être alors que FARC et gouvernement se rendent compte qu’aucune des deux parties ne pourra jamais vaincre l’autre… Et qu’il faudra bien un jour négocier.

…À partisan décidé pour des négociations de paix. Álvaro Uribe ne pouvant constitutionnellement pas se présenter pour un troisème mandat en 2010, il nomme son ministre de la Défense comme candidat présidentiel du parti. En mai 2010, Juan Manuel Santos gagne le premier tour des élections avec 46,5 % des voix devant Antanas Mockus du Parti Vert, puis le second tour en juin avec 69 % des voix. Il est réélu en 2014. Représentant les secteurs économiques libéraux plutôt que les oligarchies terriennes d’Uribe, il reconnait que le pays en guerre ne pourra jamais vraiment se développer. Les excès commis par les bandes paramilitaires (massacres, expulsions violentes de petits paysans pour accaparer leurs terres), par le narco-trafic (lié à de nombreux responsables politiques), par l’armée (les ‘faux-positifs’, des paysans exécutés pour les présenter comme guérilleros et empocher les primes), et par les FARC (enlèvements pour rançons, taxes sur la drogue), décident le président à opter pour la fin de la guerre. Il faut négocier avec les FARC, rétablir l’État de droit et œuvrer pour une justice plus sociale, toujours réclamée par la guérilla dont l’origine dans les années 1960 remonte aux injustices de la répartition de la terre.

Quatre ans de négociations Une fois l’option ‘négociation’ adoptée, le président Santos s’y donne à fond. Les FARC, conscientes qu’il n’y a pas d’issue militaire possible au conflit acceptent les négociations de paix. La communauté internationale soutient cette option : le Venezuela et le Chili seront « pays accompagnateurs », Cuba et la Norvège, « pays garants ». Les pourparlers commencent à Oslo puis se poursuivent à La Havane, géographiquement plus proche de la Colombie. Après 4 ans d’intenses négociations, « l’Accord pour une paix stable et durable » est signé. Il permettra aux guérilleros des FARC, démobilisés et désarmés, de continuer leur combat idéologique au travers d’une représentation politique autorisée et protégée pour éviter les massacres de l’expérience précédente de la Alianza Democrática dont 3.000 membres et deux candidats présidentiels furent assassinés après avoir déposé les armes dans les années 1990. On peut penser que l’attribution du Prix Nobel de la paix à Juan Manuel Santos est un signal clair de soutien politique de la communauté internationale aux négociation pour la paix, destiné à minimiser l’impact du non au referendum et impulser une renégociation des accords.

Por favor, « pas de demandes impossibles » Si Álvaro Uribe et son Centro Democrático insistent sur des modifications inacceptables pour les FARC (« ils doivent tous aller en prison … pas de droits politiques »), les espoirs de paix  s’évanouiront. La guérilla a déjà commencé à regagner la forêt « pour éviter les provocations ».  Aussi le président Santos a demandé « d’avancer avec un sentiment d’urgence et de ne pas faire des propositions impossibles… Nous écoutons ceux qui ont voté non mais aussi ceux qui ont voté oui…  Le dialogue doit se baser sur le réalisme et la vérité ». Cependant à  la sortie d’une réunion, Uribe a déclaré « qu’il ne s’agit pas de faire des retouches mais de discuter des thèmes de fond… » Il faut que  toutes les parties mettent de la bonne volonté et agissent en bonne foi car, comme le dit le nouveau prix Nobel : « La paix est proche, la paix est possible, c’est son heure… »

Jac FORTON