Il n’y a aucun rapport entre les deux livres hispano-américains publiés tout récemment par les éditions Métailié : un conte poétique et écologique écrit par Luis Sepúlveda et une amère description de la vie à La Havane que fait Canek Sánchez Guevara, le petit-fils du Che. Leur point commun toutefois est la qualité des deux textes et leur originalité.
Histoire d’un chien mapuche de l’écrivain chilien Luis Sepúlveda
Voilà le dernier roman pour la jeunesse de Luis Sepúlveda, une belle fable écologique, pleine de sensibilité, d’émotion et d’enseignement sur les Indiens Mapuches et leur environnement à travers le destin d’un chien nommé Afmau, Loyal en langue mapuche. En effet le destin de ce chien, Afmau, qui nous raconte son histoire à la première personne sans mièvrerie, suit de près le destin des Indiens Mapuches, persécutés par des Blancs violents et sans scrupules, et chassés de leur terres à cause de leur convoitise sans limites. Le chien arraché à son compagnon, un enfant Mapuche, a mené une vie de douleur et de coups entre les mains de ces Blancs qui l’utilisent au début du récit pour retrouver la piste d’un Indien fugitif qu’ils ont eux-mêmes blessé. Mais le vieux chien retrouve l’univers sauvage et les odeurs de son enfance, il reconnaît son frère-homme, Aukaman dans l’Indien pourchassé.
Rusé, intelligent, il envoie les Blancs sur de fausses pistes, rejoint son compagnon d’enfance : nous n’en dirons pas plus… si ce n’est que grâce aux souvenirs du chien, l’auteur nous dévoile les coutumes indiennes, leurs rapports respectueux avec la nature et tout ce qui est vivant, faune et flore. Bel enseignement émouvant, accompagné d’un glossaire final de vocabulaire mapuche, et belle leçon d’humanité et d’amour concentrée sur ce chien très attachant qui jamais ne frise la caricature et qui reste chien dans ses instincts et ses réflexions, le tout étant accompagné de très belles illustrations de la talentueuse Joëlle Jolivet. Voilà donc une idée de cadeau de Noël à retenir pour petits et grands.
Louise LAURENT
Histoire d’un chien mapuche de Luis Sepúlveda, traduit de l’espagnol (Chili) par Anne Marie Métailié, éd. Métailié, 96 p., 12 euros.
33 révolutions du Cubain Canek Sánchez Guevara
Pour la voix anonyme qui s’adresse à nous, Cuba est un disque rayé. Tout se répète inlassablement, pluies et chaleur, appareils qui ne fonctionnent plus, petite tâches quotidiennes dans un bureau quelconque. On mange, c’est bon marché et peu copieux, mais on mange. Et on vit ainsi, dans une monotonie que la voix rendrait poétique si ce qu’elle décrivait n’était pas aussi fade, aussi décourageant. On n’a même plus la force de se révolter, ne serait-ce que modestement, discrètement, on subit, c’est tout. Pourtant on devine des ébauches de révolte, qui se manifestent de diverses façons, parfois inattendues, comme se plonger non dans la musique des tropiques, mais dans Varèse et la musique sérielle, très mal vue par les autorités. Cela peut être aussi de voir passer dans une rue ou sur le Malecón un de ces radeaux de fortune, les balsas qui serviront à fuir ou à mourir.
Tout est bref dans ce livre, le livre lui-même, les chapitres, les sensations changeantes du personnage sans nom et celles du lecteur. C’est probablement cette brièveté universelle qui lui donne cette incroyable force de chaque instant. N’oublions pas que Canek Sánchez Guevara est mort à 41 ans, après avoir vécu, jamais longtemps à chaque fois, dans plusieurs pays d’Europe et d’Amérique, après avoir été graphiste, photographe, musicien et écrivain. La question est de savoir si on peut lire ce beau et terrible récit en faisant abstraction du nom de son auteur. Il le faudrait pourtant : il vaut pour lui-même avant de valoir pour Canek.
Christian ROINAT.