Le Brésil, le Paraguay et l’Argentine n’acceptent pas la présidence temporaire du Venezuela, soutenue par l’Uruguay. Les enjeux géopolitiques dépassent de loin cette dispute : allons-nous vers la fin du Mercosur au profit de l’Alliance du Pacifique, alignée sur les États-Unis ?
Le Mercosur est né en 1991 pour former une union douanière et politique de l’Amérique du Sud “basée sur les principes de Démocratie et de Développement économique pour impulser une intégration à visage humain” (1). Il comprend le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay et le Venezuela (depuis 2006). La Bolivie a demandé son adhésion en 2015.
La question de la présidence temporaire
Les accords prévoient que chaque pays prenne la présidence pour 6 mois en suivant l’ordre alphabétique. L’Uruguay présidait l’entité jusqu’en juillet 2016, normalement suivi par le Venezuela le 29 juin pour le reste de l’année. Mais le président par intérim Michel Temer au Brésil, l’Argentine de Mauricio Macri et le Paraguay de Horacio Cartes, viscéralement anti-Venezuela, refusent ce passage de témoin pour trois raisons : le Venezuela du président Nicolas Maduro ne serait pas démocratique, ce pays ne remplirait pas les normes requises pour une adhésion pleine, et le transfert de présidence ne s’est pas réalisé selon la convention. En effet, le transfert s’est réalisé par courrier de l’Uruguay qui informait ses partenaires que son temps de présidence terminé le 29 juin et qu’il passait le témoin au suivant par ordre alphabétique, le Venezuela. En principe, ce transfert se réalise en réunion plénière où le président sortant fait son rapport sur les actions réalisées durant son mandat, ce que n’a pas fait l’Uruguay.
Des décisions hâtives ?
Le ministre des Affaires étrangères intérimaire du Brésil, José Serra, annonce alors qu’il ne reconnait pas la présidence du Venezuela et critique durement l’Uruguay. Selon le journal brésilien O Estado de Sao Paulo, ce différend Brésil-Uruguay aurait commencé après que l’Uruguay n’a pas accepté la requête de Serra d’isoler le Venezuela. Serra et l’ex président brésilien Fernando Henrique Cardoso, proches du président par intérim Temer (et acteurs clés dans la procédure de destitution de la présidente), s’étaient rendus en Uruguay le 6 juin dernier pour demander au ministre des Affaires étrangères uruguayen, Rodolfo Nin Novoa, que ce pays conserve la présidence jusqu’en août pour que celle-ci ne passe pas au Venezuela. L’Uruguay avait refusé, car il existe depuis 2005 un Tribunal de révision créé justement pour juger les litiges d’interprétation que le Brésil et le Paraguay ont préféré ignorer.
Le Venezuela dénonce une nouvelle Triple Alliance
En 1864, l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay s’étaient unis pour détruire le Paraguay. Pour le président Maduro, il s’agit de “machinations de la droite extrémiste du sud du continent, une nouvelle Triple Alliance”, cette fois contre le Venezuela. Il rejette “l’invention d’une thèse frauduleuse”, à savoir un vide à la tête de l’institution. Le Venezuela a d’ailleurs hissé le drapeau du Mercosur pour dire clairement qu’il en est le président jusqu’à la fin de l’année. Les trois pays de l’opposition ont fait savoir qu’ils ne se rendraient à aucune des invitations aux réunions du Mercosur lancées par le Venezuela, ce qui signifie pratiquement la paralysie de l’institution.
Pour le président vénézuélien, ces oppositions émanent “de ceux qui ont toujours conspiré contre l’union sud-américaine dans le but d’imposer le consensus de Washington”.
Loizaga et Serra, d’étranges “démocrates”
Eladio Loizaga, ministre des Affaires étrangères paraguayen, fut Premier secrétaire à l’ambassade de Washington du dictateur Alfredo Stroessner puis son directeur du Département des traités et actes internationaux. Il fut élu député du Parti Colorado (le parti du dictateur) en 1989 puis nommé chef du cabinet du général Rodriguez qui avait détrôné Stroessner par un coup d’État soutenu par les États-Unis. Il devient représentant permanent du Paraguay devant l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) à Genève, puis devant les Nations unies à New York. En 2010, il prend sa retraite mais est invité en 2013 à assumer le poste de ministre des Affaires étrangères du président Cartes.
Selon des documents retrouvés dans les Archives de la terreur à Asunción (2), il avait été membre du Comité organisateur du 12e Congrès de la Ligue anticommuniste mondiale, connue pour avoir coopéré avec le Plan Condor. En 2008, le Rapport Vérité et Justice sur les violations aux droits humains commises pendant la dictature mentionne son nom (3).
José Serra, ministre des Affaires étrangères brésilien, a été accusé au début du mois d’août d’avoir reçu près de 7 millions d’euros en liquide à l’étranger pour financer sa campagne électorale de 2010. Cette accusation est portée par des directeurs de l’entreprise Odebrecht. Son président, Marcelo Odebrecht, profondément impliqué dans le scandale Petrobras, déclare pouvoir prouver qu’il a donné cet argent à partir d’une “caisse n° 2” (comptabilité parallèle).
Le Parlasur peut-il agir ?
Le Comité directeur du Parlasur (Parlement du Mercosur), composé des vice-présidents des cinq pays membres et présidé par Jorge Taiana, ancien ministre des Affaires étrangères argentin, a mis sur pied une commission de haut niveau pour trouver une solution à cette impasse. Selon Taiana, “affirmer que le Venezuela n’a pas rempli tous ses engagements, comme le dit le chancelier Serra, est très exagéré (muy forzado) car aucun des cinq pays ne l’a fait… Le Paraguay garde la blessure ouverte [quand le Mercosur l’a suspendu pour le coup d’État qui a écarté le président Lugo du pouvoir en 2012]. Ils disent : ‘Vous me l’avez fait, maintenant je vous le fais’… Il est clair que José Serra est contre l’intégration et veut détruire le bloc. Il a dit que le Mercosur ne doit plus être un projet de marché commun et doit se transformer en une zone de libre commerce. L’important, dans le fait d’avoir un Parlement du Mercosur, est qu’il comprend une représentation populaire et pas seulement des États…” (4)
Des solutions hétéroclites
Le ministre Serra et l’Argentine proposent alors que le Mercosur soit présidé par une “conduite collégiale”, notion qui, comme le rappelle le chancelier uruguayen, n’existe pas dans les statuts et ne serait jamais acceptée par le Venezuela ! Le Comité directeur du Parlasur prévoit une réunion le 23 août pour une évaluation des accomplissements ou des engagements non tenus du protocole d’adhésion du Venezuela. Le chancelier Nin Novoa rappelle “que les statuts ne considèrent aucune sanction en cas de non-accomplissement”.
La paille et la poutre
Venant d’un pays, le Paraguay, qui a provoqué un coup d’État parlementaire en 2012, et d’un autre, le Brésil, en pleine procédure de coup d’État institutionnel, affirmer que le Venezuela n’est pas un pays démocratique est un rien osé. En effet, ainsi que l’écrit Eduardo Sigal, ancien sous-secrétaire de l’Intégration économique américaine et du Mercosur, “le gouvernement Maduro a été élu démocratiquement, il existe un parlement contrôlé par l’opposition et un referendum révocatoire est sur le point d’être organisé”.
Que le Venezuela passe par de graves problèmes à la limite du jeu démocratique est évident. Mais que dire d’un président (Temer au Brésil) dont une bonne partie des ministres ont dû démissionner pour corruption, d’un autre (Macri en Argentine) qui apparait dans les Panama Papers et qui gouverne par décrets dont plusieurs ont été annulés par la Justice, et d’un troisième (Cartes au Paraguay) qui emprisonne des petits paysans au profit de grands propriétaires terriens (voir notre article de juillet sur le massacre de Curuguaty) ?
Comme va le dicton : on voit la paille dans l’œil du voisin mais pas la poutre dans le sien… Qui peut parler de démocratie dans ce contexte ? Seul l’Uruguay semble sortir indemne de cet imbroglio…
Le véritable enjeu : quitter le Mercosur pour passer à l’Alliance du Pacifique
Si les opposants au Venezuela semblent choisir l’affrontement, l’enjeu réel va bien au-delà de ce différent normatif… Les élections au Paraguay et en Argentine ont mené au pouvoir des gouvernements très favorables au néolibéralisme et pourraient bien être suivis par le Brésil du président intérimaire Michel Temer, qui sera sans doute confirmé dans son poste si la présidente Dilma Rousseff était destituée fin août. Pour le politologue de l’Université de Buenos Aires, Juan Manuel Karg, “la finalité du tandem Loizaga-Serra [les ministres des Affaires étrangères des deux pays] est le réalignement conservateur du continent et la congélation du fonctionnement quotidien du Mercosur”. En effet, ces deux pays (plus l’Argentine depuis le début 2016) montrent clairement une préférence pour une entrée à l’Alliance du Pacifique et au Traité transpacifique, deux instances néolibérales promues par les Etats-Unis. José Serra est clair : “Nous devons améliorer l’intégration économique et le libre commerce… Nous ne pouvons pas rester attachés à une situation absurde d’un pays qui n’est pas une démocratie”. Or, les règles du Mercosur ne permettent pas une double alliance. Il faut donc soit quitter le Mercosur, soit le détruire. Les graves difficultés politiques, sociales et économiques que rencontre le président Maduro au Venezuela viennent à point nommé.
Jac FORTON
(1) Voir le SITE du Mercosur. (2) “Les Archives de la terreur”, des milliers de documents sur le Plan Condor, furent découverts à Asuncion en 1992 par le militant des droits humains Martin Almada et le juge José Agustin Fernandez. (3) Voir l’article du sociologue et chercheur de l’Observatoire en communication et démocratie Alvaro Verzi Rangel publié par ALAI le 1er août 2016. SITE . (4) Dans une interview au journal argentin Página12 du 14 août 2016.