A Lyon, sur ses terres, aux Nuits de Fourvière, le chanteur français a, le 17 juin, donné le coup d’envoi live de son dernier album Palermo Hollywood. Un concert puissant et très émotionnel, marqué par un poignant hommage à Hubert Mounier, récemment disparu.
« Je pense que ça va tenir » lâche, un poil flippée, une représentante de Barclay, la maison de disque de Benjamin Biolay. Quelques minutes avant le début du concert, alors qu’on pénètre dans la ceinture somptueuse et rocailleuse de l’amphithéâtre antique des Nuits de Fourvière, quelques gouttes laissent craindre le pire : la pluie pour accueillir la chaleur argentine de Palermo Hollywood, le dernier album de Benjamin Biolay ? Un disque magnifique, inspiré tant par la cumbia argentine que les instrumentaux cinégéniques à la Morricone ou Lalo Schiffrin, et à la fois totalement Biolay. Pour l’adapter sur scène, le Français n’a d’ailleurs pas fait les choses à moitié. Une vingtaine de musiciens l’accompagnent ce soir. Une bonne partie d’entre eux – et notamment la section rythmique – est argentine (on reconnaît Fernando Samalea, batteur culte à Buenos Aires qui jouait déjà sur l’album). Elle est accompagnée d’une section de cordes, violon, violoncelle, contrebasse, menée par un chef d’orchestre.
Cumbia et gestes de boxeur
21 h 30. Le concert s’ouvre sur le thème inaugural et éponyme de Palermo Hollywood, un talk-over morriconnien en diable, une traversée au petit jour dans la capitale argentine, qui donne le ton de l’album. En jean noir, tee shirt noir et gilet de costume, Biolay entre sur scène et arpente la scène avec de grands gestes de boxeur. On sent qu’il cherche son espace, son rythme. « Le jour se lève enfin sur Palermo Hollywood, un trans marche dans la rue, me donne un coude »..., entonne-t-il. La voix est un peu cassée, un peu trop basse, mais le charme magnétique du titre opère, magnifié par les envolées d’une chanteuse lyrique et d’un ténor. Ce soir on le sait d’emblée, le niveau sera haut. Dans ce premier quart d’heure, le chanteur cherche ses marques. Et ne tarde pas à les trouver, boosté par l’accueil ultra chaleureux d’un public lyonnais pourtant réputé difficile et par les invités qui le rejoignent sur scène, comme autant de ponctuation, de poussées de libido. Solaire, en petit blouson de cuir et jupe plissée multicolores, l’Argentine Sofia Wilemi (qui chante deux titres avec BB sur l’album) donne un premier coup d’accélérateur au concert. Teinté de cumbia, ultra romantique, leur duo Miss Miss, un des titres les plus plus tubesques de l’album (une version actuellement remixée par The Shoes l’a propulsé sur les radios) fait onduler le public assis, qui se dandine désormais sur les petits coussins verts qu’on lui a remis à l’entrée. Sur Ressources humaines, titre à l’inspiration plus sociale, sa famille élargie, Chiara Mastroianni et Melvil Poupaud, le rejoignent. Melvil a des fans : des filles hurlent son prénom en apercevant l’acteur s’emparer de la basse. Fin d’une première heure uniquement centrée sur Palermo Hollywood, qui montre la cohérence et la majesté de l’album sur scène et la puissance de certains titres tels que J’ai pas Sommeil, dont Biolay livre une version lyrique et existentielle.
Un hommage à Hubert Mounier
Sur la très riche deuxième heure (le show va durer 2 h 15 et ne cesse de monter en puissance), le chanteur ré-attaque son riche répertoire, alternant entre titres intimes au piano, titres plus rocks et duos plus folk, renversants de grâce avec Chiara Mastroianni. On aura également droit à une version toute argentine du Jardin d’hiver écrit pour Salvador, et à un retour aux origines : seul au piano, Biolay entame les Cerfs volants, la mélodie douce amère qui l’a révélé, il y a une quinzaine d’années. « A mesure que le temps, passe, je mesure le temps qui passe », chante Benjamin sur ce titre auto-référentiel, qui prend plus de densité avec les années. On revoit la petite gueule de Biolay, qui débarquait jeunot et beau gosse dans la chanson française avec de l’ambition, un ton et un premier album déjà captivant, Rose Kennedy. On voit l’homme aujourd’hui, le visage plus buriné, la voix plus grave, regarder ce jeune homme, mesurer le chemin accompli. « C’était mon premier quarante cinq tour, explique Benjamin au public. La maison de disques l’aimait bien, jusqu’à l’arrivée de Marilyn Monroe ». Le titre titre explose en effet, une envolée irrésistible, après un extrait du River of No Return susurré par Marilyn. « Nous étions trois à être pour. Il y avait moi, qui a eu l’idée, Thierry Plannelle (le directeur artistique de Benjamin. NDLR) qui est aussi fou que moi et Hubert Mounier qui m’avait dit de foncer ». On sait à quel point Biolay a été touché par la disparition du chanteur, compositeur, auteur de BD, également connu sous le nom de Clit Boris et membre de L’affaire Louis Trio. Biolay a fait ses début avec Mounier. À Lyon, dont étaient tous les deux originaires, Biolay choisit de lui rendre hommage en revisitant cinq titres de Mounier, fin mélodiste. « La prochaine on va la faire tous ensemble », lance Biolay à la foule enthousiaste. Il attaque Mobilis in Mobile, une des chansons les plus connues de L’Affaire Louis Trio, et excelle vocalement dans un registre qui parait pourtant bien éloigné du sien.
Chialeries sublimes et solo piano
Plus posée, souvent performée au Piano en solo, la fin du concert achève de mettre tout le monde d’accord. Biolay sort du lourd et envoie les chialeries sublimes : l’incontournable Ton héritage qui file toujours la chair de poule ou encore Négatif, qui invite à réécouter ce qui reste un de ses très beaux albums. Minuit. Les violons entament le thème de la superbe. Façon générique de cinéma récité par Jean-Luc Godard, Benjamin, assis au piano remercie alors un a à un tous les acteurs (musiciens, invités) qui ont permis à ce film personnel, émouvant et superbe de se dérouler sous nos yeux. On quitte l’arène le cœur non pas brisé et endolori, comme il le chante dans J’ai pas Sommeil mais plein de cette chaleur dispensée par un homme qui a le courage, la force et la faiblesse d’être pleinement ce qu’il est.