Mêlant intimement travail de fouilles et analyses scientifiques, le documentaire Naachtun met en lumière la florissante civilisation maya à travers une expédition dans la cité oubliée et tente de percer ses mystères. Soirée sur Arte le samedi 18 juin à partir de 20 h 50 avec Naachtun – La Cité maya oubliée et à 22 h 25 Le code maya enfin déchiffrée.
Pendant deux mille ans, les Maya ont construit des royaumes et développé une civilisation d’une incomparable richesse. Puis ils ont mystérieusement disparu. Leur histoire s’est perdue, recouverte d’un inextricable manteau végétal. Enfouie au plus profond de la forêt vierge, à l’extrême nord du Guatemala, Naachtun, découverte en 1922, n’avait pas été fouillée depuis. Aujourd’hui, une équipe internationale de scientifiques – composée d’archéologues, mais aussi d’un géographe, un archéobotaniste, un épigraphiste, un céramologue, un archéozoologue, un ethnologue – menée par les chercheurs du CNRS Philippe Nondédéo et Dominique Michelet tente de percer le secret de sa longévité, qui a surpassé celle d’autres royaumes maya. Pourquoi Naachtun a-t-elle survécu près de deux cents ans à l’effondrement, au VIIIe siècle, de ses puissantes voisines ?
Road trip archéologique
Véritable road trip archéologique à travers l’Amérique centrale, le film part à la découverte des cités monumentales de Teotihuacan, Tikal, Calakmul, El Mirador, Copán, qui ont été tour à tour les rivales et les alliées de Naachtun, en compagnie de quelques-uns des plus grands archéologues mayanistes au monde. Déchiffrant l’histoire politique de Naachtun à travers ses vestiges, notamment de multiples stèles, l’équipe s’intéresse aussi aux relations entre ses habitants et la jungle environnante. La singularité de cette approche permet non seulement de reconstituer, au plus près, la vie quotidienne des Maya au sein de la forêt, notamment leurs nombreux rituels et cérémonies liés à la nature, mais aussi d’obtenir des réponses nouvelles au fameux mystère de l’effondrement de leur civilisation.
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Rencontre avec Dominique Michelet
Naachtun sur les traces des Maya
Au Guatemala, le réalisateur Stéphane Bégoin a suivi un large chantier de fouilles qui tente de percer les mystères de la cité maya de Naachtun. Vue d’ensemble avec l’archéologue mayaniste Dominique Michelet l’un des protagonistes de son documentaire. Propos recueillis par Marie Gérard (Arte Magazine).
Quelles sont les découvertes les plus importantes faites à ce jour à Naachtun ?
Dominique Michelet : la première, c’est que la cité a été abandonnée un siècle, voire un siècle et demi après quantité d’autres sites classiques. cela veut dire qu’à la fin de cette ère dite classique – entre 250 et 900, après J.C. -, toutes les cités ne se sont pas vidées rapidement et de façon synchrone de leur population : cette découverte complexifie beaucoup l’image de la fin de la civilisation classique maya. Si Naachtun a duré plus longtemps que d’autres, c’est parce qu’une organisation sociale et économique nouvelle a pris le relais du système de royauté sacrée qui existait auparavant. Quand un roi omnipotent est anéanti, on peut comprendre que ses sujets, complètement désemparés, se soient dispersés, par exemple dans la campagne. À Naachtun, en revanche, après la période de crise marquée par la disparition des rois, vers 750-760, une partie des élites qui entouraient auparavant la dynastie royale a inventé une autre façon de survivre, retrouvant même la prospérité. La cité a certes finalement été abandonnée par ce qui restait de sa population vers l’an 950, ou peut-être 1000, mais elle a survécu de plus de cent ans à sa voisine Tikal.
Sait-on pourquoi les familles royales ont disparu au VIIIe siècle ?
Dans certains cas, il y a eu des guerres, notamment dans la partie ouest des basses terres centrales, où nos collègues nord-américains ont trouvé beaucoup d’indices montrant que les gens se sont épuisés en se combattant mutuellement. Mais ailleurs, la disparition des rois sacrés est très vraisemblablement liée à des crises de type économique. le souverain étant censé assurer la prospérité de son peuple en tant qu’intercesseur auprès des puissances qui régentent le monde, il peut perdre toute légitimité quand surviennent des crises, liées par exemple à des phénomènes assez brefs, mais violents, de sécheresse, comme il y en a eu à partir de 760.
Les médias ont beaucoup parlé début mai de ce jeune Canadien qui prétendait avoir découvert une cité maya oubliée. de nouveaux sites sont-ils encore susceptibles d’être mis au jour ?
Chaque jour un peu moins, même si quelques blancs subsistent sur les cartes. un confrère slovène, Ivan Šprajc, qui travaille depuis longtemps dans des zones un peu délaissées, côté mexicain, a par exemple découvert en 2013 un site important, qu’il a appelé Chactun. Quant à la «découverte» de ce jeune canadien, il s’agit d’un buzz monté en épingle par les journalistes. les images satellites publiées montrent que ce qui est interprété comme le cœur d’une prétendue cité majeure est simplement une zone anciennement défrichée. Certes, l’astronomie a influencé les Maya – des ensembles architecturaux conçus pour être des lieux de culte du soleil le prouvent -, mais dire que plus de cent dix villes auraient été aménagées pour représenter les constellations, cela paraît complètement saugrenu : avec des écarts chronologiques de plusieurs siècles d’un site à l’autre, il est impossible que ces villes aient été édifiées selon un schéma commun.
Vous travaillez à Naachtun au sein d’une équipe de 80 personnes dirigée par votre confrère philippe Nondédéo. Comment un projet d’une telle ampleur a-t-il été mis sur pied ? la recherche archéologique française à l’étranger est très largement subventionnée par le ministère des affaires étrangères et du Développement international (MaeDi), avec une commission consultative des fouilles françaises à l’étranger. un premier tiers de notre budget nous est fourni par des institutions françaises publiques : le MaeDi, le cnrs et les universités avec lesquelles nous sommes en partenariat. nous avons aussi deux partenaires locaux, chacun contribuant à peu près également à un tiers du budget : la compagnie pétrolière nationale du guatemala, d’ailleurs filiale d’une compagnie française, perenco ; et une fondation guatémaltèque, pacunam, qui défend le patrimoine culturel et naturel grâce au mécénat. sans ces apports, le chantier aurait été impossible à mener. cette année, par exemple, les pétroliers ne pouvant pas intervenir, nous avons appris au mois de janvier que nous devions nous arranger avec un tiers du budget en moins. heureusement, philippe nondédéo est aussi un artiste de la gestion, qui réussit à faire beaucoup avec peu : le directeur d’un grand chantier archéologique doit aussi être un chef d’entreprise.
Propos recueillis par
Marie Gérard