Ce dimanche 17 avril, la Chambre des députés a voté pour la destitution de la présidente Dilma Rousseff, accusée de manipulation des comptes publics en 2014. C’est maintenant au Sénat, en mai prochain, de décider d’écarter ou non la présidente. Celle-ci dénonce un coup d’État institutionnel. Comment en est-on arrivé là ? Explications.
Par 367 voix contre 137, la Chambre des députés a ratifié la procédure de destitution de la présidente Dilma Rousseff, une victoire contondante de l’opposition qui avait besoin de 342 votes pour gagner le scrutin. Deux partis faisant partie de la coalition gouvernementale, le PMDB du vice-président Michel Temer et le PP (1), avaient abandonné le navire 15 jours à peine avant le vote. Celui-ci se faisant député par député en public a imposé une discipline de parti au détriment d’un choix de conscience.
La procédure passe maintenant au Sénat dont les 81 membres se réuniront vraisemblablement vers la mi-mai. Si la moitié des sénateurs plus un votent pour ouvrir la procédure de destitution, la présidente se verra écartée de son poste pour 180 jours, le temps que le Sénat décide par 2/3 des voix si oui ou non, la présidente doit être jugée et destituée. Si le vote est positif, la présidente est remplacée par le vice-président jusqu’aux prochaines élections prévues pour fin 2018. Pour la présidente, son parti le PT (2), la gauche et les mouvements sociaux, il s’agit d’une tentative de coup d’État institutionnel provenant des secteurs de droite suite à leur défaite lors des élections de 2014.
Comment en est-on arrivé à cette situation ?
Rappel des faits. En 2014, Dilma Rousseff et son Parti des travailleurs (PT, centre gauche) était réélue pour un second mandat à la tête de la première puissance du continent latino-américain, face au Parti social démocrate du Brésil (PSDB, droite) de Aecio Neves. Quelques mois plus tard, la droite commençait une vaste campagne anti-Rousseff dans une situation générale dégradée par les conséquences de la crise financière de 2008, la chute du prix des matières premières, le ralentissement de l’économie chinoise (un des principaux clients du Brésil) et un scandale monumental de corruption des élites brésiliennes.
L’affaire Petrobras
L’entreprise publique Pétrole du Brésil et les grandes entreprises du BTP (travaux publics) avaient monté un schéma de corruption : les BTP surfacturaient leurs devis de chantiers de plusieurs centaines de millions d’euros qui étaient ensuite remis à des politiciens de tous les partis ainsi qu’à des responsables politiques pour financer leurs campagnes électorales pour que ceux-ci leur octroient les chantiers de l’État. Gagnant-gagnant mais au détriment du Trésor public bien sûr… Les politiciens corrompus appartiennent à tous les partis politiques mais la presse brésilienne (et beaucoup de leurs confrères européens) ne semblent s’intéresser qu’au seul Parti des travailleurs alors que ni la présidente ni l’ancien président Lula da Silva n’apparaissent comme ayant bénéficié de ces actes de corruption.
Par contre, les présidents du Sénat, Renan Calheiros, et de la Chambre des députés, Eduardo Cunha du PMDB, sont tous deux mis en examen pour corruption ! Lorsque la justice révèle que Cunha a caché en Suisse cinq millions de dollars issus des pots-de-vin de Petrobras, il annonce que si les poursuites contre lui ne sont pas abandonnées, il acceptera une demande de destitution de la présidente présentée par un groupe de députés.
Le “pédalage fiscal”
Le 2 décembre 2015, Cunha met son chantage à exécution. Selon l’accusation, elle aurait manipulé les comptes publics durant sa campagne électorale en 2014. En clair, elle aurait utilisé la procédure du “pédalage fiscal” pour montrer un déficit budgétaire moins important qu’en réalité. Ce “pédalage” consiste en un emprunt temporaire à une banque publique pour combler le dépassement des dépenses budgétées de manière à pouvoir financer les programmes sociaux. Chaque année, cette procédure doit être avalisée par le Congrès. Tous les gouvernements depuis la fin de la dictature, ainsi que de nombreux présidents des États brésiliens [l’équivalent de nos régions] ont eu recours à cette procédure. Aucun n’a jamais été inquiété, sauf Rousseff…
Cunha sélectionne alors une commission parlementaire de 65 députés qui doit décider si les accusations méritent ou non l’ouverture d’une procédure de destitution. Le 11 avril, cette commission approuve l’ouverture de la procédure par 38 voix contre 27. Le fait que plus de la moitié des députés de cette commission font l’objet de mise en examen pour corruption-Petrobras ne mérite pas une seule ligne dans les grands journaux…
Les défis de la droite
Une destitution de la présidente serait une catastrophe pour le Brésil. Elle ne résoudrait rien, au contraire. En effet, le vice-président Michel Temer, président du PMDB, est lui aussi dans une position délicate. Tout d’abord, contre l’avis d’un secteur de son parti, il l’a retiré de la coalition gouvernementale pour rejoindre l’opposition à quelques jours du vote, ce qui est considéré comme “une trahison” par le gouvernement. Ensuite, il est lui-même l’objet d’une demande de destitution car, en vertu de son poste, il a co-signé les “pédalages” ; pas de raison donc pour qu’il ne soit pas mis sur la même sellette que Rousseff. De plus, il est, lui, bien impliqué dans le scandale corruption-Petrobras.
S’il était destitué, c’est le président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha, qui prendrait le poste. Mais il est, lui aussi mis en examen pour corruption, évasion fiscale et blanchiment d’argent. Tout cela mènerait à de nouvelles élections et c’est là le grand dilemme de la droite qui aurait alors deux grands défis.
Eliminer Lula et trouver un candidat de droite
Eliminer Lula : l’ancien président Lula da Silva jouit encore au Brésil d’une grande popularité. Il faut se souvenir que ses politiques sociales, tout en ne touchant pas aux intérêts des grandes entreprises, a sorti plus de 40 millions de Brésiliens de la misère. En désespoir de cause, la présidente Rousseff a fait appel à lui pour sortir son gouvernement de la crise politico-économique. Il est tout à fait possible qu’il se présente aux prochaines élections et, surtout, qu’il les gagne ! C’est le cauchemar de la droite. Car nous sommes bien face à deux projets de société : l’inclusion sociale dans le cadre capitaliste de Lula ou le néolibéralisme orthodoxe pur et dur style FMI de Aecio Neves du PSDB (1) maintenant rejoint par le PMDB et le PP.
Il faut donc tenter d’écarter Lula. Comment ? Toujours de la même manière : inventer des délits qui permettent à des juges partiaux de l’incarcérer ce qui lui barrerait la route vers la candidature à président. Lula est en ce moment mis en examen sous prétexte qu’il serait le vrai propriétaire d’un duplex enregistré sous le nom d’une entreprise BTP, en remerciement pour services rendus… Rien n’a encore été prouvé. Trouver un candidat de droite : ce candidat doit être acceptable pour les partis de l’opposition mais surtout par les citoyens. Vu le nombre de parlementaires mis en examen pour corruption, ce ne sera pas chose facile.
Y a-t-il vraiment coup d’État institutionnel ?
Les faits parlent d’eux-mêmes : la présidente Rousseff a lutté contre la corruption en écartant sept de ses ministres dès qu’ils furent mis en examen, elle n’a rien volé, n’a pas d’entreprises à son nom, pas de comptes secrets en Suisse ou ailleurs… Son crime ? Avoir utilisé une procédure administrative qu’ont utilisée sans problème les six présidents brésiliens avant elle. Nous sommes donc dans la situation où la présidente est accusée d’irrégularités administratives par un Congrès contrôlé par des députés dont la moitié a été mise en examen pour corruption. Une mauvaise gestion présidentielle ne conforme pas un crime. Le journal Le Monde rapporte ces mots de la présidente Dilma Rousseff (3) : “S’opposer à moi, me critiquer fait partie de la démocratie. Mais démettre une présidente élue de façon légitime, sans que celle-ci ait commis un quelconque crime(…) n’est pas le jeu démocratique. C’est un coup d’État”. Exactement.
Jac FORTON