Stéphane Monclaire, mort le lundi 21 mars à Cuiaba (État brésilien du Mato Grosso), à 58 ans, avait une spécialité rare dans les universités françaises : il était un fin connaisseur du Brésil et tout particulièrement de ses mœurs politiques. Sa découverte remontait aux années d’incertitude, au cours desquelles les Brésiliens sortaient progressivement de la dictature militaire (1964-1985) et faisaient leurs premiers pas dans la vie démocratique, comme un enfant qui peine à trouver l’équilibre sur ses jambes.
Né à Paris, dans le quinzième arrondissement, le 6 avril 1957, beaucoup ont apprécié, de 1998 à 2006, ses chroniques mensuelles dans le bulletin Info Brésil, une publication parisienne nourrie des solidarités et amitiés franco-brésiliennes nouées pendant les années de plomb. Stéphane Monclaire y évoquait la vie politique sans la moindre concession aux clichés militants. Il développait un regard très pointu, à la fois factuel et analytique, avec un talent et un goût prononcés pour la sociologie électorale, une approche rendue particulièrement ardue par les impositions du régime militaire. En effet, au lieu de fermer le Congrès et de suspendre tous les scrutins, les généraux-présidents avaient autorisé des élections conditionnées, avec deux partis politiques seulement. Autant dire que toutes les cartes étaient rebattues et qu’il fallait beaucoup de ténacité et d’ingéniosité pour déceler des tendances et interpréter les résultats.
Stéphane Monclaire a été ravi de se pencher sur l’Assemblée constituante de 1987, qui l’a amené à consolider sa familiarité avec le droit. Ses études supérieures se complètent d’une expérience sans cesse renouvelée du territoire, l’érudition vient combler une curiosité toujours éveillée, et l’entregent vient faire le reste. Avec l’exigence de ses collaborations gracieuses à Info Brésil, il se prête aux fréquentes interviews sur les ondes de Radio France Internationale et aux sollicitations d’autres médias, que ce soit Le Monde, Le Figaro ou Mediapart.
Un personnage atypique
Maître de conférences en Science Politique à l’Université de Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, il a commencé à enseigner en 1984. Il appartient au Centre de recherche et de documentation sur l’Amérique latine (CREDAL) et au Centre de recherches politiques de la Sorbonne (CRPS). Parlant couramment le portugais, il a été plusieurs fois professeur invité dans des universités brésiliennes. En France et au Brésil, il a publié des études sur les institutions brésiliennes, sur la transition démocratique, sur la nouvelle Constitution de 1988 et sur les partis politiques. Mais il s’intéressait aussi au football comme facteur d’affirmation nationale et au charisme de Luiz Inacio Lula da Silva, dirigeant syndical sous les militaires, puis fondateur du Parti des travailleurs (PT, gauche), enfin président de la République (2003-2010).
Après une jeunesse rebelle, il était passé par une sorte d’ascèse, habité par la volonté de rigueur, de précision et de maîtrise dans son domaine de connaissance, sans pour autant cesser d’être un personnage atypique, peu formaté, qui réservait souvent des surprises à ses amis et à sa famille. Le cinéma et les arts l’avaient attiré à une époque, comme en témoigne le portrait qu’a fait de lui, en 1979, Gérard Courant dans son Cinématon, série consacrée aux figures underground ou alternatives (disponible sur YouTube). Il a gardé de cette période généreuse une disponibilité qui lui a permis de multiplier les relations amicales, de tisser des réseaux universitaires et d’organiser des colloques scientifiques. “Il était le meilleur spécialiste français du Brésil politique”, assure Alfredo Valladao, ancien journaliste à Libération et professeur à Sciences Po-Paris.
Du Brésil, il revenait à chaque fois avec des valises et des poches pleines de livres, qu’il dénichait et dévorait. Inlassable arpenteur de bibliothèques, il était aussi un infatigable explorateur de terrain. Il faut croire que sa passion lui a joué un sale tour, que le corps n’a pas voulu se plier aux exigences de l’esprit, car il est mort sans doute d’épuisement, à un moment où son cher Brésil connaît un vent de folie et fait chavirer les têtes et les cœurs les plus solides.
Journaliste au Monde