Un bras de fer politico-judiciaire secoue le Brésil : la présidente Dilma Rousseff et l’ancien président Lula sont pris dans le tourbillon du scandale PetroBras. L’opposition politique et judiciaire veut faire tomber le gouvernement.
Plusieurs responsables de l’entreprise publique en charge de l’extraction et de la distribution du pétrole du Brésil et d’entreprises privées du BTP (Bâtiments et travaux publics) sont accusés d’avoir “arrosé” des politiciens pour financer leurs campagnes électorales dans le but d’obtenir des contrats exclusifs de grands chantiers.
Tous les grands partis ont été bénéficiaires de ces largesses : le Parti des travailleurs de la présidente (PT, gauche) mais aussi le PMDB (Parti du mouvement démocratique du Brésil, centre droite), théoriquement allié du PT mais qui semble vouloir quitter un navire sur le point de couler, et le PP (Parti progressiste, droite). Une cinquantaine de personnalités de tous bords sont l’objet d’une enquête par le Procureur général du Brésil Rodrigo Janot, pour corruption en lien avec le scandale PetroBras.
La droite attaque la présidente Rousseff
Pour la présidente et Lula, la droite n’a pas digéré son troisième échec aux élections de 2014 lorsque Dilma Rousseff l’a emporté devant Aecio Neves du PSDB (Parti de la social-démocratie du Brésil) par 51,64 % (exactement le même score que François Hollande en France !). La droite a donc décidé de faire tomber le gouvernement, par tous les moyens. Depuis janvier 2015, elle a lancé une campagne politico-judiciaire dont le but avoué est de destituer la présidente. Elle a donc déposé devant les tribunaux des accusations de “responsabilité” dans le scandale PetroBras : la présidente n’y a pas participé mais “elle devait savoir” et elle aurait manipulé le pouvoir judiciaire pour qu’il libère des entrepreneurs arrêtés. De plus, ses comptes de campagne auraient également été manipulés. Elle serait donc complice de la corruption de PetroBras et doit être traduite devant les tribunaux.
Une procédure de destitution a été lancée : 65 parlementaires doivent débattre du cas et décider si les accusations méritent l’ouverture d’une procédure de destitution. Il se fait que le principal accusateur, le sénateur PMDB, président de la Chambre des députés et ultra-évangéliste Eduardo Cunha, est lui-même accusé d’avoir caché en Suisse des millions de dollars issus de PetroBras à travers une entreprise appelée Jesus.com… La principale centrale patronale du pays, la FIESP (Fédération des industries de l’Etat de Sao Paulo) soutient immédiatement la procédure.
La bombe Amaral
Delcidio Amaral est sénateur du PT qu’il a rejoint en 2002 parce que son parti d’origine, le PSDB, lui avait refusé sa candidature ! Arrêté suite à la diffusion d’un enregistrement dans lequel il promet de l’argent au fils de Néstor Cervero, un dirigeant de PetroBras si son père “gardait la bouche fermée”, Amaral, pour diminuer sa peine, recourt à “la délation récompensée”, une procédure qui allège la condamnation d’un détenu si celui-ci donne des informations permettant d’arrêter d’autres personnes. Et il lâche le nom d’une dizaines de personnalités dont Rousseff et Lula, bien sûr, mais aussi les présidents du Sénat et de la Chambre des députés, des sénateurs et des députés dont bon nombre de la droite ! La “grande presse”, contrôlée par la droite, se concentre uniquement sur la présidente puis sur Lula.
Empêcher Lula de se présenter aux élections de 2018
Les difficultés politiques et sociales du Brésil ont mis la présidente sur la défensive. Un revirement vers la droite de sa politique économique n’a fait qu’augmenter sa chute de popularité. Alors elle appelle son prédécesseur Lula au secours. Craignant de voir tous les acquis sociaux de sa présidence se perdre par les politiques de Rousseff et les attaques de la droite, Lula fait entendre qu’il pourrait se présenter aux élections de 2018.
Il faut rappeler que par ses politiques sociales, Lula a sorti 50 millions de Brésiliens de la misère et formé une nouvelle classe moyenne. Il jouit donc d’une énorme popularité qui lui permettrait de gagner ces élections. Au grand dam de la droite qui dirige immédiatement ses attaques contre lui. C’est alors que, comme par hasard, un petit juge de province l’accuse d’être le propriétaire caché d’un appartement qui lui aurait été donné par une entreprise de BTP privilégiée par des contrats millionnaires avec PetroBras.
Une opération policière violente contre Lula
L’enquête sur la corruption de PetroBras, surnommée Lava Jato (Lavage rapide) est sur le bureau du juge Sergio Moro, qui ne cache pas son opposition au gouvernement. Il fait savoir que Lula “pourrait être mis en examen pour improbité administrative” c’est-à-dire avoir reçu un soutien économique illégal d’entreprises de construction avant de quitter le gouvernement en 2010.
Moro ordonne la perquisition de l’appartement de Lula et sa détention pour interrogatoire, en stipulant bien à la police fédérale d’agir en “conduite coercitive” : irruption musclée à 6h du matin et une arrestation digne de celle d’un caïd mexicain avec 200 policiers en armes ! Étrangement, Lula est emmené à l’aéroport et non dans un commissariat. Alertés, les partisans du gouvernement bloquent l’aéroport. Lula est libéré. L’objectif est empêcher Lula de se présenter aux élections de 2018 en lui collant des procédures judiciaires. Un autre juge, Cassio Conserino, exige alors sa détention préventive parce que “en tant qu’ancien président, il a encore du pouvoir et pourrait appeler à des manifestations populaires qui pourraient générer des conflits”. Mais l’arrestation abusive de Lula joue en sa faveur. Le PT et ses partisans descendent dans la rue, et ils sont nombreux !
La présidente nomme Lula à un poste ministériel
En mars 2016, estimant que seul Lula peut sauver le gouvernement d’un désastre, la présidente Rousseff nomme Lula Ministre de la maison civile, une position proche d’un Premier ministre. Immédiatement, la droite et sa presse clament qu’il s’agit seulement de soustraire Lula à la justice. C’est plutôt faux car si un ministre bénéficie bien d’une certaine immunité, il peut toujours être mis en examen mais seulement par les 11 membres de la Cour suprême.
Le 16 mars dernier, le juge Preta Neto de Brasilia déclare que Lula ne peut pas assumer son poste de ministre et doit rester à disposition de la justice ordinaire. Or ce juge a participé à des manifestations anti-gouvernement en portant un T-shirt aux couleurs de Aecio Neves (voir photo) et crié “Dilma dehors” et “Dilma renonce”, c’est le journal O’Globo qui l’affirme. Peut-il alors est classé d’impartial ?
Les derniers coups de théâtre
Cette fois, c’est un juge de la Cour suprême, Gilmar Mendes, qui déclare unilatéralement “l’annulation de la nomination de Lula comme ministre”. La Cour suprême dans son ensemble doit décider de la suite mais ce sont les vacances et cela ne se fera que fin mars. En attendant, le dossier Lula retourne sur le bureau du juge Moro. Le 13 mars, l’opposition au gouvernement a réuni des centaines de milliers de personnes (des millions, selon des sources) réclamant la destitution de la présidente Rousseff, la presse internationale en faisant une large diffusion. Le 18 mars, les partisans du PT et du gouvernement ont également réuni des centaines de milliers de personnes (avec moins de diffusion), clamant elles : “Il n’y aura pas de coups d’Etat”. Ce qui se passe au Brésil est important, non seulement pour ce pays, mais aussi pour l’Amérique latine : c’est le principal partenaire commercial de nombreux pays. Le chaos au Brésil serait un désastre pour tout le continent.
Jac FORTON