À six semaines du coup d’État du 11 septembre 1973, le général Pinochet envoie un commando de huit personnes sous les ordres du général Arellano Stark avec pour mission d’exécuter des dizaines de prisonniers politiques dans tout le pays. Il est mort à 95 ans, mercredi 9 mars dernier.
Fin octobre, début novembre 1973. Quelques semaines après le coup d’État du général Pinochet contre le président Salvador Allende, des milliers de fonctionnaires, syndicalistes, étudiants, responsables et membres de partis politiques, survivants des purges, sont emprisonnés. Pinochet veut que le pays, civils et militaires fidèles à la Constitution, comprennent bien qui est au pouvoir : il monte un commando qui sera connu comme la Caravane de la mort.
Arellano, le “délégué de Pinochet”
Après le coup d’État, les officiers commandant les places militaires du pays deviennent les nouvelles autorités administratives. Ce sont en général des militaires traditionnels : ils obéissent aux ordres mais la plupart d’entre eux n’avaient pas fait partie de la conspiration putschiste. Ils reçoivent des listes de noms des autorités de l’Unité Populaire qu’ils doivent faire passer en conseil de guerre par des juges militaires. Les anciennes autorités civiles sont ainsi condamnées de dix jours à dix ans de prison.
Pour Pinochet et le dur des forces armées, ces condamnations ne sont pas assez dissuasives, elles ne portent pas assez clairement le message que la junte veut faire passer au pays : faire comprendre à la population que toute opposition serait punie par la torture et la mort, et aux militaires fidèles à la Constitution ou à ceux considérés comme trop “mous” dans la répression, qu’il fallait exercer le contrôle avec force. En octobre 1973, le général Pinochet met donc sur pied un commando qui a pour mission officielle “d’unifier les critères et accélérer les Conseils de guerre”, et de juger les fonctionnaires de l’Unité populaire pour “trahison” ou “atteinte à la sécurité de l’État”. Il s’agit en fait d’un véritable escadron de la mort dont la mission réelle est d’éliminer physiquement les dirigeants de l’Unité populaire ou ses partisans.
Pinochet donne la direction de ce commando au général Arellano Stark qui réunit une équipe de durs : le colonel Pedro Espinoza Bravo, du Département IV des Services spéciaux du service de renseignement de l’armée ; le colonel Sergio Arredondo González, chef d’État-major du général Arellano Stark et commandant des troupes d’assaut de Santiago qui avaient attaqué le Palais présidentiel ; le capitaine Marcelo Moren Brito, commandant en second du régiment Arica basé à La Serena et appelé par Arellano Stark pour commander les troupes d’assaut à Santiago ; le lieutenant Armando Fernández Larios, de l’École d’infanterie de San Bernardo ; le lieutenant Juan Chiminelli, aide personnelle d’Arellano Stark et coordinateur de la logistique du vol de l’hélicoptère ; les capitaines Emilio de la Mahotière, Antonio Palomo et Felipe Polanco, pilotes de l’hélicoptère.
L’hélicoptère Puma commence une tournée mortelle qui sera bientôt connue sous le nom de Caravane de la mort. Le message ultime : la junte a tous les pouvoirs, elle tue qui elle veut et se débarrasse des corps comme elle veut, toute opposition sera impitoyablement réprimée, au-delà des lois…
Une routine de mort
Cette caravane fait deux tournées : la première visite les villes de Talca, Concepción, Linares, Caúquenes et Valdivia dans le sud du pays, la seconde fait escale dans les villes de Arica, Antofagasta, Calama, Tocopilla, La Serena et Copiapó dans le nord. Soixante-quinze civils déjà jugés et condamnés à des peines de prison en conseils de guerre sont froidement et sommairement exécutés par les passagers du Puma.
La procédure est toujours la même : le général Arellano demande aux officiers devenus les autorités locales de lui montrer l’état des conseils de guerre qui jugent les civils. Le général coche des noms de la liste et la remet à un des membres du commando. Sans en informer l’officier en charge de la ville, les membres du commando se rendent immédiatement à la prison, emmènent les prisonniers dans le désert, les exécutent et dynamitent ou enterrent les corps quelque part dans les sables.
Dans une interview donnée à Televisión Nacional de Chile en janvier 2001, le général Joaquín Lagos (1), chef de la ville de Antofagasta, raconte : “Les prisonniers sont enlevés sans mon accord. Ils les massacrent, leur percent les yeux avec leur dague, brisent les mandibules et les jambes… Ils les exécutent petit à petit, font feu d’abord dans les jambes, ensuite dans les parties sexuelles, puis au cœur. Les corps n’étaient plus reconnaissables…”
Condamné mais jamais emprisonné
En 2000, le juge Juan Guzmán condamne le général Arellano pour la mort de plusieurs prisonniers politiques. Le militaire fait appel mais en octobre 2008 la Cour suprême le condamne à six ans de prison. Un mois plus tard, le Service médico-légal déclare que le général souffre de démence irréversible et d’Alzheimer ce qui lui permet de ne pas aller en prison et d’accomplir sa peine chez lui. Le 10 mars dernier, il décède tranquillement dans son lit. Pour l’avocate Carmen Hertz dont le mari Carlos Berger est l’une des victimes, (un conseil de guerre l’avait condamné à 100 jours de prison), “ un lâche est mort impuni… Il a toujours éludé sa responsabilité en disant que ses hommes avaient agi dans son dos…” En cela, il imite son chef, le général Pinochet. Pour ce dernier, Arellano Stark a agi tout seul. Pourtant, tous les membres de la Caravane de la mort ont immédiatement été promus par le dictateur !
Jac FORTON