À l’occasion de la sortie ce mercredi du film Alias María, Alain Liatard nous parle de ce film sur le thème de la guérilla colombienne. Chantal Guillet a rencontré le réalisateur du film, qui nous parle de ce phénomène et de la genèse du film.
María, 13 ans, est une jeune soldat de la guérilla. On lui donne pour mission d’aller avec quelques jeunes combattants mettre en sécurité le nouveau-né du commandant. Elle-même est enceinte et décide de garder sa grossesse secrète pour ne pas être contrainte à avorter par le médecin du camp. À travers son regard, le film nous dévoile la terrible réalité du conflit armé en Colombie.
Voilà une toute jeune fille en treillis, qui tient une mitraillette dans ses doigts où le vernis s’écaille. On ne sait rien sur elle : María a-t-elle été enlevée ? Est-elle consentante ? Là n’est pas l’intérêt du film sinon de montrer l’organisation tantôt paternaliste, tantôt violente de cette guérilla qui souvent ne connait que l’arbitraire, les ordres aboyés et la brutalité. L’approche de la guerre, avec à la fois le sens de la vie et celui de la mort, nous met au centre d’un enfer. Car paradoxalement pour un film situé en pleine nature, Alias María est presque un huis-clos. La caméra se déplace au plus près des personnages qui ne quittent jamais les profondeurs d’une jungle uniforme, labyrinthique et sans repère. Resserrée, l’action se déroule sur à peine quelques jours. Et María, seule femme parmi un mini groupe de jeunes garçons jouant aux hommes, mais sous l’autorité d’un plus âgé, ne dit presque pas un mot de tout le film.
Il s’agit du second long métrage de José Luis Rugeles, après García en 2010. Il anime, avec son coproducteur, des ateliers d’art scénique, travaillant avec des enfants exfiltrés de la guérilla.
Alain LIATARD
Interview de José Luis Rugeles
Le réalisateur colombien, José Luis Rugeles nous parle de son film Alias María, l’histoire bouleversante d’une adolescente de 13 ans, combattante de la guérilla, comme ces 11 000 enfants soldats recrutés en Colombie dans les différents groupes armés selon Amnesty International. Ce film est un hommage à toutes les femmes qui luttent à travers le monde et qui sont les premières victimes des conflits. Ce film est actuellement présenté dans de nombreux festivals.
En quoi votre film Alias María a changé votre vie comme vous l’avez dit ?
Avant le film, on a recueilli des témoignages de femmes ex-combattantes (des Farc ou des paramilitaires) et j’ai eu ainsi une vision plus claire du conflit. J’ai compris à quel point on était désinformé en Colombie à travers les informations, le journal télévisé, etc, et ainsi chacun se fait une idée d’un conflit qui ne s’arrête jamais car cela convient à beaucoup de gens. Toutes ces histoires si terribles ont été très dures pour moi à entendre. Elles ne sont pas racontées directement dans le film. Mais c’est pour cela qu’on a commencé à travailler aussi sur des documentaires, en particulier avec une jeune femme ex-combattante, et à faire des ateliers dans des zones de conflit où les groupes armés procèdent à un recrutement des enfants. Le film s’inspire de toutes ces histoires. Et nous avons petit à petit construit le film mais nous voulions aussi organiser des débats avec les gens parce que je me suis rendu compte qu’en Colombie il y a un grand besoin de réflexion autour de ce problème.
Et il y a eu le casting pour le film ?
On a rencontré 1200 jeunes pour le casting, mais à aucun d’entre eux on n’a dit qu’il s’agissait d’un film. Ils faisaient les ateliers de théâtre avec nous et au fur et à mesure on a sélectionné les acteurs. À 50/60 d’entre eux on a expliqué le film mais pas le scénario. On ne voulait pas qu’ils perdent leurs émotions, on voulait qu’ils réfléchissent plutôt que de dire un texte. Mais il y avait aussi des acteurs professionnels qui eux connaissaient le scénario. Nous avons beaucoup travaillé avec ces jeunes, tout ce qui se passe avec la caméra, le pouvoir de raconter des histoires qui leur servirait, non pas pour être forcément cinéaste mais pour leur vie personnelle, leur imagination. À travers ce travail de documentaire, fiction et animation, on pense que s’ils apprennent à raconter, inventer des histoires, peut-être pourront-ils raconter leur propre histoire et en inventer une autre….
Tout ce travail fait-il partie de la campagne “Más Niños, Menos Alias” ?
Oui, c’est avec toutes ces rencontres, témoignages, que nous avons créé l’association “Más Niños, Menos Alias”. C’est une campagne de sensibilisation à partir de ces ateliers d’art scénique, en particulier pour aider les jeunes qui voudraient s’engager dans des groupes armés à réfléchir. Je me souviens, par exemple, quand on était dans un village à Granada (département du Meta), où il y avait des paramilitaires ou des guérilleros (ex-combattants), beaucoup de délinquance. Nous avons fait ces ateliers. Le premier jour sans caméra, ils ont trouvé cela très ennuyeux, ne voulaient pas revenir et le lendemain ils étaient tous là ! Il y a eu après un grande représentation où on a passé les courts-métrages réalisés avec eux. C’était très émouvant …
Alias María et tout le travail fait autour du film, c’est finalement une redécouverte de la Colombie, presque une étude sociologique ?
Oui, c’est devenu plus qu’un film pour moi. Car ce sujet devait être abordé de façon très particulière. Et c’est un sujet aussi très délicat, on pouvait vite tomber d’un côté ou de l’autre. Il était important de rester ainsi sur le fil pour que les gens ne voient pas une histoire politique, mais une histoire d’amour. On voulait aussi provoquer une réflexion, une prise de conscience pour que cela ne se reproduise plus. Mais, pour moi, ce film est surtout l’histoire d’amour d’une jeune fille dans un monde de conflit.
Comment a été accueilli le film en Colombie ?
Les gens aiment beaucoup le film. Au début, beaucoup pensaient “encore un film sur la violence !”, pourtant il n’y a pas tellement de films sur le sujet. Mais en Colombie les gens sont toute la journée informés sur le conflit, les négociations de paix… Ils sont un peu lassés par le sujet. Mais ils se sont rendus compte qu’il s’agit d’autre chose pour ce film.
Comment s’est passé le tournage ?
On pensait le faire d’abord dans les Llanos. Cela aurait été plus facile mais cela ne correspondait pas à ce que je voulais faire. Tout devait être vrai et on a été donc dans la jungle colombienne (Magadalena Medio). Une forêt immense, les rivières par où passait la guérilla correspondaient parfaitement à la réalité, dans une zone difficile, mais les producteurs ont obtenu des autorisations de toutes les parties et ils ont tous bien respecté le tournage. On pouvait dialoguer. Ce qui était compliqué aussi c’est qu’il fallait une heure et demie par jour de déplacement pour les équipes (avec même un bébé pour les besoins du film !), et transporter tout le matériel pour filmer, mais cela nous a beaucoup unis avec la fatigue, les problèmes rencontrés, la difficulté du terrain, les conditions climatiques (la pluie tropicale, par exemple)… Cela a permis aussi à ce que les acteurs entrent vraiment dans leur rôle.
Quelles anecdotes pouvez-vous nous raconter sur le tournage ?
Je me souviens tout particulièrement d’un moment où l’actrice principale, Karen (María) commence à se frapper le ventre. Elle ne s’arrêtait plus de pleurer. Ce fut un moment très fort, d’une grande émotion car cela lui rappelait un moment très douloureux de sa propre vie. Un autre passage, quand Mauricio (Carlos Clavijo) tue Yuldor (Eric Ruiz) : en fait, dans la vie ils sont très amis et Mauricio n’arrivait pas à faire le geste de le tuer. C’était très important qu’il le fasse avec beaucoup de froideur mais pas à la façon Hollywood. Les morts dans la guérilla ne sont jamais spectaculaires. On peut leur demander de tuer quelqu’un qu’ils connaissent et ils tuent comme s’ils étaient en train de boire un verre d’eau !
Et ces jeunes acteurs que deviennent-ils ?
Karen veut terminer l’école, continuer d’étudier. Elle a un immense talent mais elle doit travailler par des lectures etc.. Yuldor, veut devenir footballeur. Il est très intelligent. Il dit que jouer un rôle c’est trop facile et cela ne l’intéresse pas trop ! Byron (Anderson Gómez), est entré à l’université, pour une formation en éducation physique et va faire du théâtre et de la danse.
Que s’est il passé d’important entre les membres de l’équipe ?
On avait, pendant le tournage, une guérillero qui nous aidait, un ex-paramilitaire qui s’occupait de l’entraînement militaire et un militaire qui portait les armes. Au début, le contact a été très difficile, et pour moi aussi, mais nous avons fini le film en étant amis. Et j’ai compris que tous ces jeunes qui combattent, qui commettent des atrocités pour certains, sont eux-aussi des victimes. La plupart sont des jeunes recrutés vers l’âge de 11 ans et qui sont entraînés seulement pour la violence. Je me rappelle l’ex-paramilitaire qui voulait partir une semaine avant la fin du tournage. Il m’expliquait “Je me sens très mal car moi j’ai été entraîné pour la violence, pas pour l’amour”. Mais il est resté jusqu’à la fin et cela a été une leçon pour nous tous, qui étions pleins de préjugés.
On pourrait dire qu’après les futurs accords de paix, les Colombiens devront réapprendre à communiquer entre eux et à construire vraiment la paix. Qu’en pensez vous?
La paix va nous concerner tous, nous intégrer tous. Les gens vont voir des ex-combattants de la guérilla entrer dans la société, pour essayer de vivre dignement et pas seulement lire des accords sur le papier. Je veux être optimiste. Je ne veux pas trop y penser. Je sais très bien qu’il y a beaucoup d’ennemis de la paix. Toutes ces années de guerre n’ont rien apporté. On peut par contre obtenir d’autres choses, une gauche qui arrive à s’organiser etc.. On est un pays tellement étrange que même la paix peut arriver !
Propos recueillis et traduits par
Chantal GUILLET