Le 17 février est sorti en kiosque le dernier numéro de la revue Le 1, qui traite chaque semaine une question de l’actualité à travers différents regards de spécialistes. Cette dernière édition, qui a pour titre “Politique, comment ranimer la flamme”, offre la parole à l’économiste Jean Peyrelade ainsi qu’au philosophe Edgar Morin, afin de comprendre les causes du sentiment d’usure qui s’éprouve aujourd’hui à l’égard du système politique français et les pistes pour donner un nouveau souffle à cet univers jugé suranné…
Avant de rentrer dans le vif du sujet, Le 1 propose deux extraits littéraires liés à l’actualité de ce numéro. Le premier s’appelle “Quand, voici des années…”, du poète Bertolt Brecht. Imprégnée d’un souci de morale, l’œuvre du poète allemand en finit avec la catharsis et propose une réflexion critique sur le monde contemporain. Dans ce poème, il est question d’une prise de conscience, “sans colères ni plaintes”, celle de la détention du pouvoir par une poignée de puissants, qui gèrent le monde et le conquièrent à coups de torts et de crimes. Ce poème a été rédigé en 1935, alors que son auteur avait fui l’Allemagne nazie.
Le second extrait a pour titre “L’homme vivant n’est pas muet”, de l’écrivain Alexis Jenni, lauréat du prix Goncourt en 2011 pour son roman L’art français de la guerre. Il met en scène deux professeurs qui conversent tout en préparant un thé à la menthe. Tous deux s’accordent pour dire que le gouvernement est désespérant. Ils se rendent ensuite à une réunion de quartier, qui se transforme en débat houleux. Pourquoi ne sommes-nous pas capables de nous écouter ? Pourquoi préférons-nous toujours nous battre plutôt que de parler ? Deux questions en suspens qui pourraient être adressées à nos politiques…
L’ère du désenchantement, par Jean Peyrelevade
Dans cette double page, Jean Peyrelevade – économiste, ancien conseiller économique du Premier Ministre Pierre Mauroy de 1981 à 1983, aujourd’hui banquier d’affaires et président du CA de la banque Degroof Petercam France – explique les points de blocage du système politique actuel qui influencent ce sentiment de désenchantement chez les citoyens français. À ses yeux, ceux-ci sont dus à une verticalisation des appareils politiques, institutionnels et syndicaux, ainsi que des partis… En d’autres termes, ces appareils sont aujourd’hui devenus conservateurs. De fait, Jean Peyrelevade explique que, pour faire carrière dans un appareil, il faut être conformiste, et cela ne pousse ni à l’ouverture ni à la modernité. Mais cela ne se limite pas au domaine politique, il en va de même pour le patronat : les structures duales de direction n’existent pas, les patrons du MEDEF font office de figures nationales, qui doivent de surcroît porter une vision politique de leur secteur… Sans parler du fait que les politiques et la haute administration font preuve de complicité pour bien conserver cette défense des intérêts.
Cette spécificité française, que décrit Jean Peyrelavade, suppose que l’intérêt général – censé être incarné par l’homme politique, qui a été élu par la souveraineté populaire – soit “affirmé tout entier au niveau de l’état” et que “tout doit se régler en haut”. Selon Jean Peyrelevade, cette structure verticale souverainiste n’est plus adaptée au monde d’aujourd’hui du fait de la mondialisation et du triomphe contractuel. Deux scénarios s’ouvrent alors pour l’avenir : soit une attitude de refus de la part des politiques, et donc une fermeture, pouvant donner lieu à des dérives vers un état autoritaire, soit une volonté d’ouverture permettant à la France de s’adapter et de devenir plus citoyenne.
L’urgence d’une société conviviale, par Edgar Morin
En préambule de son article, Edgar Morin – philosophe et sociologue émérite, spécialiste de nombreux domaines dont ceux des sciences et de la nature – revient sur un constat : celui de la dégradation de la qualité de vie à l’époque contemporaine, qui sont déductibles de différents maux personnels (fatigues, dépressions, mal-être) et vraisemblablement provoqués par des attitudes d’asservissement au profit, à la bureaucratisation, au calcul et à la chronométisation de nos existences. En clair, à une époque où le profit est sans cesse recherché et qui fait la part belle aux autonomies, on remarque un affaiblissement des valeurs de solidarité et de convivialité, un délaissement du sens de responsabilité envers autrui et par-là même, donc, un abaissement de notre qualité de vie.
Néanmoins, on voit apparaître ce que Edgar Morin appelle sensiblement des “petits printemps qui bourgeonnent”, c’est-à-dire des pratiques et des initiatives citoyennes qui aspirent à une autre vie, à une civilisation du mieux-vivre. Pour donner quelques exemples, il peut s’agir d’initiatives relevant de l’économie sociale et solidaire (création de mutuelles, coopératives, banques de microcrédits) ou encore de réformes de la consommation (prédilection pour les circuits-courts, l’artisanat, résistance à l’offre des grandes industries).
Ce que le philosophe Edgar Morin tente de faire comprendre, c’est qu’il est aujourd’hui urgent d’opter pour une société plus conviviale et solidaire. Le risque est gros, en effet, si nous ne changeons pas et n’élaborons pas de nouvelle voie, car le cataclysme et la barbarie nous guettent. Il appelle aussi à sortir de la surenchère de l’activité politique pour que se concentrent tous les efforts et les moyens vers un futur plus solidaire, loin du calcul et de l’intérêt, du profit et de l’anonymat. Ce nouveau chemin est incontournable pour lutter contre les obscurantismes.
Mara KOLB
Le 1, SITE