Lors du dernier festival de Biarritz sur les cinémas et cultures d’Amérique latine, un focus était consacré à l’Équateur. Dans ce cadre, l’Institut des Hautes Études de l’Amérique latine a organisé une journée sur l’Équateur de Rafael Correa, avec la projection du film Opération Correa, en présence de son réalisateur Pierre Carles, également membre du jury des films documentaires.
En novembre 2013, le président équatorien de gauche Rafael Correa est venu en visite officielle à Paris. Il fut reçu à l’Élysée par François Hollande et prononça une conférence à la Sorbonne. Il y expliqua comment son pays avait allégé le poids de sa dette extérieure, ignoré les recommandations du Fonds Monétaire International et tourné le dos aux politiques d’austérité qui, au moment précis où il s’exprimait, précipitaient l’Europe dans le marasme économique. Son intervention expliquait que l’Europe endettée reproduisait les mêmes erreurs que les pays d’Amérique Latine.
On pouvait penser que l’événement bénéficierait d’un accompagnement médiatique important, d’autant que le président équatorien, économiste de formation, parle parfaitement français. Mais les invitations à s’exprimer dans les médias furent rares, et le silence de la presse presque total.
Pierre Carles, avec son coté faussement naïf, réalise son documentaire, Opération Correa, en allant à la rencontre des grands journalistes de la presse pour leur demander pourquoi, à part France 24, ou Le Monde Diplomatique, peu sont allés l’interroger lors de son séjour à Paris.
Il se confronte à l’habituelle langue de bois : “Voilà un sujet important que je ne peux traiter en trois minutes, le public ne connait pas et c’est difficile d’en parler ” et autres excuses. Que ce soit Isabelle Quin ou RTL, ils ont d’autres préoccupations. La poursuite d’Yves Calvi dans les couloirs, la mauvaise foi et la suffisance de Frédéric Taddeï, le cri du cœur d’Ivan Levaï justifiant l’absence de références exigeantes dans sa revue de presse par la paresse supposée des auditeurs : « On ne fait pas boire l’âne qui n’a pas soif »… sont des passages drôles et tristes à la fois.
On se rend compte que les discours sont tous à peu près les mêmes, formatés pour mettre l’accent sur l’austérité sans chercher une plus grande curiosité et en interrogeant toujours les mêmes experts. Seul le journaliste du Figaro s’exprime correctement dans sa logique : la situation économique de l’Équateur s’est grandement améliorée et il y a, aujourd’hui, ajoute-t-il, des choses à faire sur place au plan économique ou au moins y aller voir.
Au-delà de la position des médias français, le réalisateur s’interroge sur la situation en Équateur. Rafael Correa propose-t-il vraiment des solutions originales à la crise économique, sociale et environnementale ? Qu’en est-il alors de l’accord de libre-échange que son pays a été contraint de négocier avec l’Union européenne ? Et de son opposition à l’avortement ? Pierre Carles et son équipe sont partis enquêter en mars 2015 sur l’existence ou non d’un “miracle équatorien” et ainsi mieux comprendre à quoi il ressemble.
Pour l’instant Opération Correa ne dure que 52 minutes, car Pierre Carles, qui avait consacré un beau film à Pierre Bourdieu en 2001, La sociologie est un sport de combat, et fait des analyses critiques de la presse dans plusieurs films dont Pas vu, pas pris (1998) ou Enfin pris (2002), cherche encore de l’argent pour monter le deuxième volet de son enquête, Correa sí ! Correa no !
Mais au-delà de ça, ce film nous interroge sur la place de l’Amérique latine dans les médias et aussi dans la curiosité du public en général envers des événements lointains qui ne semble pas le toucher directement.
Alain LIATARD