Le chef d’État cubain Raúl Castro a répondu favorablement à l’invitation de son homologue français François Hollande et se rendra à Paris le 1er février prochain à l’occasion d’une visite d’État.
Le voyage à Paris du président cubain fait suite à la visite d’État historique que François Hollande a lui-même réalisée à La Havane, le 10 mai 2015. Visite historique en effet, car il s’agissait de la première fois qu’un président français se rendait sur l’île après la fin de la guerre des États-Unis contre l’Espagne — après que les Espagnols avaient coulé le cuirassé Le Maine ancré en baie de La Havane en 1898 — et la première visite d’un chef d’État occidental depuis l’annonce du dégel dans les relations entre Cuba et les États-Unis, annoncé fin 2014. Lors de cette visite, François Hollande avait plaidé en faveur de la levée de l’embargo économique des États-Unis contre Cuba, qui avait “tant nui” au développement de l’île depuis 1962. Par ailleurs, c’est la deuxième fois qu’un chef d’État cubain réalise une visite d’État en France, après les célèbres voyages de Fidel Castro, le premier en 1995, où il a été reçu par l’alors président socialiste François Mitterrand, et le deuxième, un an plus tard, lorsqu’il est venu assister à ses funérailles. Cette visite du 1er février — la plus haute forme de contact diplomatique entre deux pays — sera sans doute marquée, comme il est coutume, par des cérémonies et par un “diner d’État”, où le chef de l’État cubain sera l’invité d’honneur.
La valeur stratégique de l’engagement français à Cuba
Selon le communiqué de presse de l’Élysée, cette nouvelle rencontre entre les deux chefs d’État marquera une étape supplémentaire sur la voie du renforcement de la coopération entre les deux pays et confirmera leur volonté d’élargir et de diversifier leurs relations dans de multiples domaines : politique, économique et commercial, ainsi que dans les domaines des finances, des investissements, de la coopération et de la culture. De son côté, Rogelio Sierra, vice-ministre cubain des Affaires étrangères a précisé que la visite du président cubain confirme l’excellent état des relations bilatérales et du dialogue politique. “La France est un partenaire important de Cuba, avec lequel nous entretenons des liens avantageux de coopération et d’entente mutuelle” a souligné le porte-parole de la diplomatie cubaine.
La plus grande île des Caraïbes jouit d’un prestige immense en Amérique latine et fait partie de deux institutions d’intégration régionale : la Communauté d’États latino-américains et caraïbes, Celac (qui rassemble 33 pays) et l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique, Alba (qui rassemble 13 membres). Lors de sa visite d’État, François Hollande avait reconnu que Cuba “a représenté pour l’Amérique latine une forme d’expression, de revendications de la dignité et de l’indépendance. Ce qui explique que le pays joue un rôle important dans de très nombreuses médiations”. Depuis l’arrivée de François Hollande à la tête du pays, l’Amérique latine et Cuba en particulier, bénéficient d’une attention accrue. Jean-Pierre Bel, conseiller spécial de la présidence de la République pour l’Amérique latine a joué un rôle essentiel dans le renforcement des liens avec Cuba, considérant qu’il s’agit de la porte d’entrée vers le continent latino-américain dans un contexte de rapprochement entre Cuba et les États-Unis.
Dans ce contexte, la France a tout intérêt à renforcer la coopération avec les pays de la région Amérique latine et Caraïbes. En effet, la région abrite une population de 525 millions de personnes et constitue un terrain d’investissement favorable aux entreprises françaises. En décembre 2015, le Club de Paris, groupe de créanciers publics français, a conclu un accord historique avec Cuba au sujet de la restructuration de la dette que l’île n’honorait plus depuis 1986. Celle-ci atteignait 11 milliards de dollars en 2015 et cet accord est venu annuler les intérêts de retard cumulés qui s’élevaient à 8,5 milliards de dollars. Quant aux impayés, qui représentent un montant de 2,6 milliards de dollars, ils ont été reportés et rééchelonnés au cours des 18 prochaines années. Le président Hollande s’était personnellement impliqué pour obtenir la signature de cet accord, qui normalise les relations économiques et financières avec les pays occidentaux, et qui est censé encourager les investissements étrangers à Cuba et l’installation d’opérateurs économiques privés.
Ainsi, les pays d’Europe — et la France en tête — tentent d’augmenter leur présence économico-commerciale à Cuba. Bien que le marché cubain soit pour l’instant de taille limitée, l’île comporte des potentialités économiques solides et un intérêt géostratégique marqué par sa situation géographique. Aujourd’hui, près de 60 entreprises françaises investissent à Cuba, par le biais de partenariats avec le gouvernement, dans plusieurs secteurs de l’économique cubaine, parmi lesquels le tourisme, la construction, les télécommunications, l’énergie et les transports. À l’instar de l’entreprise de vins et spiritueux Pernod-Ricard, qui vient tout juste de remporter une bataille judiciaire l’opposant à l’entreprise du rhum Bacardi qui lui dispute l’exploitation de la marque Havana Club sur le marché des États-Unis. Le Bureau des marques et des brevets aux États-Unis a rétabli la propriété de la marque de rhum à Cuba, qui en retour a délégué la commercialisation internationale à l’entreprise française Pernod-Ricard. Autre exemple, le groupe hôtelier français Accor a renforcé sa présence à Cuba en ouvrant l’hôtel Pullman Cayo Coco, près de l’aéroport de La Havane, qui comporte plus de 500 chambres, et qui est le premier à équiper toutes ses chambres en Wifi.
Dans le domaine culturel, les ministères français et cubain de l’Éducation ont conclu, en octobre 2015, un plan d’action facilitant la coopération et les échanges entre les établissements d’enseignement supérieur. Un nouveau siège de l’Alliance Française à La Havane a notamment été inauguré, ce qui permet de renforcer la présence de la langue et de la culture française à Cuba. L’Alliance Française de La Havane, qui accueille près de 12 000 élèves, est l’une des plus importantes au monde.
La stratégie cubaine de diversification de ses partenaires
Le renforcement des relations entre l’Europe et Cuba génère une pression supplémentaire en faveur de la levée totale de l’embargo et témoigne du démarcage progressif de la politique extérieure des États-Unis. L’île devient alors source de rivalités et objet de convoitises, ce qui lui permet d’accroître ses capacités de négociation face aux États-Unis. Par ailleurs, certains économistes prévoient qu’en 2016, Cuba subira les effets de la chute des prix des matières premières à travers le pétrole. En effet, la principale source de devises cubaines, les services médicaux employés au Venezuela, sera négativement affectée car le Venezuela, exportateur de pétrole, traverse une crise budgétaire et politique. De cette manière, Cuba adopte une stratégie de diversification de ses partenaires. Au cours de cette visite, le président cubain aura également intérêt à chercher de nouveaux contrats dans la construction et les télécom — pour développer Internet à Cuba — ainsi que de l’aide économique.
Le début d’une nouvelle ère ?
Le rythme de ces rencontres au sommet témoignent-elles d’une nouvelle ère diplomatique entre les deux États ? Certains analystes estiment qu’elles ouvrent effectivement la voie à des relations cordiales et fructueuses, basées sur l’égalité souveraine, la réciprocité et la non-ingérence dans les affaires internes. Certains, en revanche, appellent au boycott de cette visite, qualifiant le frère cadet de Fidel Castro de “tyran de la pire espèce qui exerce le pouvoir depuis 57 ans, bien plus d’un demi-siècle”. Selon ces détracteurs, Cuba serait un régime politique dictatorial que des milliers de Cubains continuent à fuir en traversant le détroit de la Floride ou bien en s’aventurant vers les autres pays d’Amérique latine, avant d’être bloqués en Amérique centrale dans leur route vers les États-Unis. Selon eux, le séjour de Raúl Castro représente une “insulte à l’idée même des droits de l’homme à Cuba” et constitue une “lourde faute morale du gouvernement et du Président de la République, insensibles aux souffrances du peuple cubain et à ses aspirations à la liberté”.
Vaiana GOIN
Communiqué de presse de l’Élysée
Programme officiel de la visite d’État de Raúl Castro