L’architecte chilien Alejandro Aravena vient de recevoir, le 13 janvier dernier, le prestigieux prix Pritzker, considéré comme le Nobel de l’Architecture, pour son travail aussi innovant qu’engagé. Il est le premier Chilien et le quatrième Latino-américain à être distingué par ce prix, après le Mexicain Luis Barragán en 1980 et les deux Brésiliens, Oscar Niemeyer en 1988 et Paulo Mendes Da Rocha en 2006.
Alejandro Aravena incarne “le renouveau d’un architecte plus socialement engagé” aux dires du communiqué de la fondation Hyatt qui décerne le prix. En effet, le prix récompense cette année une architecture “utile” et atypique, aux antipodes des bâtiments coûteux et flamboyants qui font la gloire de nos villes, devenant ainsi le témoin des défis majeurs du XXIe siècle.
Un architecte engagé…
Ce Chilien de 49 ans est un ardent militant de l’équité sociale. Le leitmotiv de son travail est la problématique des villes émergentes, problématique qui se pose de façon cruciale en Amérique latine, où l’urbanisation accélérée est bien souvent chaotique. Son architecture engagée — sociale et esthétique à la fois — mêle modestie, écologie et design. Diplômé de l’Université catholique de Santiago du Chili, il prône la construction de meilleurs quartiers afin que “le développement casse le cercle vicieux de l’inégalité”.
Aravena a notamment érigé les “tours siamoises” de l’Université catholique du Chili (2005) — où il a étudié — son école d’architecture (2004), sa faculté de médecine (2004) et de mathématiques (2009), ainsi que plusieurs autres bâtiments de ce même établissement. Fondateur de l’Agence Elemental, il est devenu célèbre en 2003 en inventant le concept de “demi-maisons”. La particularité de ces habitations est qu’elles sont financées par de l’argent public, à hauteur de 10 000 dollars par maison, puis complétées et aménagées par les résidents eux-mêmes, à leur guise. L’agence Elemental s’occupe de construire la cuisine, la salle de bains, les murs mitoyens et l’isolation tandis que habitants sont libres de réaliser les peintures et les finitions, et de bâtir les pièces supplémentaires. De cette manière, les coûts sont maîtrisés et les habitants les plus démunis peuvent s’approprier le projet collectif.
[image align= »center » img= »http://www.espaces-latinos.org/wp-content/uploads/Maison-résidentielle-de-Quinta-Monroy-Iquique-Chili.jpg » /] Maison résidentielle de Quinta Monroy, Iquique, Chili
Son credo, qu’il résume avec la formule “Más con lo mismo” [“faire mieux avec les mêmes moyens”] a notamment pris corps avec la construction d’un quartier dans la ville de Iquique, non loin de la frontière péruvienne, en 2004. Ce projet a permis de résorber un bidonville qui était installé depuis 30 ans en centre-ville et de reloger cent familles. Sur le même thème, Aravena est parvenu à reconstruire en un temps record la ville de Constitución, frappée le 27 février 2010 par un puissant séisme suivi d’un tsunami. Aravena révèle ainsi l’architecture sous son meilleur jour, celui qui permet d’améliorer la vie des gens. Il parvient ainsi à relever un pari difficile, en dépassant les contraintes de coûts qui, bien souvent, conduisent les architectes à s’éloigner des projets sociaux par manque de moyens financiers.
Pour autant, le jeune architecte ne s’arrête pas là : il prend également à cœur l’architecture avec un grand “A”, et ne se prive pas de critiquer les inepties à la mode : “À Santiago, un immeuble qui se veut ‘contemporain’ est forcément tout vitré. Étant donné le climat local, ces constructions se transforment rapidement en serres géantes”. Préoccupations écologiques en ligne de mire, il a pris le contre-pied de cette tendance en concevant le Centre d’innovations de l’Université Catholique du Chili qui se présente comme une puissante masse de béton, et censée réduire considérablement la consommation énergétique
[image align= »center » img= »http://www.espaces-latinos.org/wp-content/uploads/Centre-de-recherche-et-dinnovation-du-campus-de-lUniversté-Catholique-du-Chili-Santiago.-2014.jpg » /] Centre de recherche et d’innovation du campus de l’Universté Catholique du Chili, Santiago. 2014
…à la carrière brillante et prometteuse
Peu connu du grand public, Aravena l’est cependant de ses pairs : il enseigne à son ancienne Université, a été de passage à la Graduate School of Design de Harvard de 2000 à 2005, et a même participé au jury Pritzker de 2009 à 2015. Ses travaux ont été couronnés par de nombreux prix dès 2008, dont le Prix de l’architecture durable. La Biennale de Venise l’a également distingué en 2008 avec le Lion d’Argent, et deux ans plus tard, la médaille d’Architecture Erich Schelling est venue récompenser l’architecte et son agence. Concernant ses réalisations, il a à son actif un large éventail de réalisations hors de son pays natal, notamment aux États-Unis, au Mexique, en Chine et en Suisse. On lui doit par exemple les bureaux de Novartis à Shanghai (2015), ou les logements étudiants de l’université St. Edward de Austin, Texas 2008.
[image align= »center » img= »http://www.espaces-latinos.org/wp-content/uploads/Alejandro-Aravena-Novartis-Campus-Shanghai-Office-Building_dezeen_936_1.jpg » /] Bureaux du groupe pharmaceutique Novartis à Shanghai
La distinction qu’il vient de recevoir constitue un formidable élan pour explorer de nouveaux terrains d’actions et envisager de nouveaux challenges. Prochainement, il officiera en tant que commissaire de la Biennale de Venise 2016 qui réunira la fine fleur de l’architecture au cours des mois de juin à novembre 2016. Le journal Chilien El Mercurio a par ailleurs révélé qu’il pourrait travailler en Europe sur des projets de logements sociaux destinés aux migrants…
Vaiana GOIN