Méconnu, le Paraguay est en proie actuellement à de terribles inondations. Un mois après la COP21, ce petit pays d’Amérique du Sud, un des plus pauvres du continent, est submergé par les eaux et des milliers de personnes se retrouvent ainsi sans logis, réfugiés climatiques dans leurs propres pays. Un drame humain qui risque de laisser de profondes cicatrices dans l’avenir.
Il n’y a pas que les guerres et les massacres qui déclenchent de massifs mouvements de population. La nature peut jeter, elle aussi, des centaines de milliers de personnes sur les routes. Actuellement, ce sont des milliers de familles paraguayennes qui ont tout perdu dans de gigantesques inondations. Les autorités dénombrent plus de cent quarante mille déplacés dans le pays et près de cent mille rien qu’à Asunción ainsi que 6 morts. La grande majorité de ces déplacés habitent soit dans les quartiers d’Asunción bordants le Rio Paraguay, c’est-à-dire les quartiers les plus pauvres de la capitale paraguayenne, soit dans des villes proches du fleuve tel la ville d’Alberdi, au sud de la capitale et qui a dû être évacué face à la montée des eaux.
Ce n’est guère la première fois que le pays connait de tels évènements mais ils ont pris une ampleur aujourd’hui rarement atteinte. Les fortes précipitations qui ont touché le pays ces dernières semaines ont provoqué une montée des eaux du fleuve qui traversent le pays de 7,71 mètres, son plus haut niveau depuis des décennies. Il n’est pas prévu qu’elles baissent rapidement et pourraient avoir des conséquences terribles pour le pays. Une situation qui a poussé le président conservateur du pays, Horacio Cartes à déclarer l’état d’urgence, ce qui lui permettrait de débloquer des fonds d’urgence pour faire face à cette catastrophe.
Le Paraguay est un pays enclavé au sein du continent, partagé en deux zones par le Rio Paraguay qui prend sa source dans le Mato Grosso brésilien avant de se jeter des milliers de kilomètres plus bas dans le Rio Paraná. La part occidentale est une zone quasi-désertique nommée le Chaco. La part orientale contient la quasi-totalité de la population paraguayenne et réunit en son sein les centres dynamiques du pays.
Lorsque le pays est sujet à de fortes pluies le fleuve sort régulièrement de son lit et inonde les vastes plaines du Chaco, mais touche également les villes se trouvant sur le parcours et en particulier Asunción, la capitale, qui fut construite le long du Rio. La ville est en partie composée de vastes zones inondables, zones sur lesquelles se sont bâtis ce que l’on nomme les bañados, sortes de bidonvilles sans existences juridiques, où la présence de l’État est quasiment inexistante.
Les conditions de vie y sont très précaires, le manque de structures éducatives et sanitaires ainsi que la mauvaise qualité des infrastructures (routes, bâtiments) confinent la population de ces quartiers dans l’exclusion et les rend profondément vulnérables à ce genre de catastrophe. Les inondations les obligent à se réfugier sur des sites plus élevés de la ville où ils doivent se résoudre à vivre dans des bâtiments de fortune, faits de tôles et de planches en bois, avec un accès très limité à l’hygiène la plus élémentaire. De minuscules toilettes préfabriquées servent souvent d’unique point d’eau pour des milliers de familles qui subsistent ainsi des mois durant jusqu’à ce que les eaux redescendent et qu’elles puissent enfin retrouver leurs logis respectifs. Ces conditions déplorables provoquent évidemment des dégâts sanitaires importants sur cette population qui, du fait de son faible niveau de vie, n’a déjà que peu d’accès à la santé.
Les bañados n’ont pas toujours existé et sont les conséquences de l’exode rural que subit le Paraguay depuis plusieurs décennies. Un facteur essentiel pour expliquer ce phénomène est le développement vertigineux de l’exploitation de soja dans les campagnes paraguayennes. Cette culture ne nécessite que très peu de main d’œuvre mais de très vastes domaines et est aujourd’hui le principal moteur de la croissance paraguayenne (le Paraguay est devenu le quatrième exportateur mondial de soja). Et tant pis si des milliers de paysans ont perdu leurs terres au profit de multinationales étrangères. Sans emploi, ils doivent se résoudre à émigrer en ville où ils s’entassent à la recherche de moyens de subsister. Le bañado-sur (quartier sud de la ville) est devenu par exemple le lieu de recyclage par excellence du pays. Abritant la plus grande décharge du pays, les paysans se transforment en recycleurs, travaillant, pour les plus chanceux au sein de la décharge (promesse d’un salaire quotidien malgré d’ignobles conditions de travail), et chassant les déchets en ville afin de les revendre à des entreprises de recyclage pour les autres.
Si la cause principale de ces gigantesques inondations présentée par les autorités est le phénomène climatique El Niño, certaines voix s’élèvent pour mettre en avant d’autres facteurs qui seraient responsables de l’ampleur inédite de cette catastrophe. Selon certains chercheurs tel le professeur Benjamín Grassi, professeur à l’Université National d’Asunción, la déforestation qui touche le Paraguay ne permet plus d’absorber les fortes quantités de pluies qui touchent le nord du pays et qui se déversent alors dans les villes.
Moins médiatique que les forêts amazoniennes, le Paraguay est pourtant le pays qui connait le plus fort taux de déforestation selon une enquête de l’université de Maryland. Celle-ci est la conséquence directe de l’exploitation de soja transgénique ainsi que de l’élevage intensif de viande bovine en place dans le pays. Ainsi, en plus de provoquer l’exode massif et incontrôlé d’une grande partie de la population qui se trouve vulnérable face aux inondations, ces activités économiques seraient également directement responsables de par les dégâts qu’elles provoquent sur l’environnement.
Le drame humain qui se déroule actuellement au Paraguay, mais aussi dans une partie de l’Uruguay et de l’Argentine touchés également par ces inondations, est un exemple concret des catastrophes environnementales qui pourraient se multiplier dans les années à venir.Jusqu’à aujourd’hui il n’y a pas eu d’importants mouvements de solidarité ou d’aide international vers le pays, hormis les aides notables de quelques pays tel le Maroc ou Taiwan, ainsi que les appels de certaines personnalités comme le Pape François à une aide massive envers le pays.
Thomas VAISSE