À travers son nouvel ouvrage Terres de café, voyage au pays de l’arôme paru le 1er octobre aux éditions de La Martinière, le photographe brésilien Sebastião Salgado raconte avec virtuosité la magnificence de la nature et de l’humain à travers la culture du café. Une histoire qui commence par un grain de café et qui se termine sur le grain du papier.
Sebastião Salgado est né en 1944 dans l’État du Minas Gerais au Brésil, mais c’est en France qu’il a construit son succès, après avoir fui la dictature militaire du Brésil. Son engagement politique naît au cours des années 1960, d’abord au sein des jeunesses catholiques puis dans les jeunesses communistes. Après ses études d’économie, Salgado commence sa carrière de photographe professionnel à l’âge de 30 ans, en 1973 pour le compte de plusieurs agences de presse (Sygma, Gamma, Magnum). En 1994, il créé avec sa femme Lélia Wanick Salgado sa propre agence, sous le nom de Amazonas Images.
Héraut de la photographie humaniste, inlassable voyageur, Salgado est le maître des épopées photographiques qu’il retranscrit grâce à un style lyrique reconnaissable entre tous. Avec un regard particulièrement aiguisé et implacable, il parcourt le monde, surtout les tiers-mondes, pour montrer que malgré l’extrême souffrance, les hommes conservent leur force et dignité. Ses grands projets, tous articulés autour de thématiques précises ont abouti à la réalisation d’une fresque de la misère et de l’injustice. Il a déjà publié plusieurs ouvrages aux éditions de La Martinière : La main de l’Homme – sur le travail manuel pris dans la mondialisation (1993), Terra (1997), Exodes – sur les migrations – (2000) et Les voies du bonheur (2010) – sur le thème de l’écologie. Depuis 2002, en parallèle de son ambitieux projet Genesis, il tourne son regard en direction des lieux de collecte des grains de café dans le monde. Des zones volcaniques du Salvador jusqu’aux collines embrumées d’Indonésie, Sebastião Salgado est parti à la recherche des grains les plus stimulants de la planète. Il a visité de nombreuses exploitations qui privilégient des échanges et une croissance équitables et qui s’attachent à perfectionner la qualité du café dans le but d’accroître la qualité de vie.
Le nouvel ouvrage de Salgado donne à voir la production mondiale de café à travers le regard de celles et ceux qui le récoltent. Les images de plans de café plantés en étages sur les collines d’Amérique du Sud sont d’une beauté époustouflante. En Afrique (Tanzanie, Ethiopie), en Asie (Inde, Chine) ainsi qu’en Amérique (Brésil, Guatemala, Nouvelle-Guinée, Colombie, Costa Rica), il nous fait voyager dans de sublimes paysages ruraux où la présence humaine est à la fois digne de respect et discrète. Ses photographies en noir et blanc montrent que la récolte, le séchage et la sélection du café relèvent de rituels ancrés dans les traditions des différentes cultures. Toutefois, on lit tout le dénuement et la douleur sur les visages et les mains des cueilleurs. Alors, on ressent des frissons en pensant aux 2 250 millions de tasses de café consommées chaque jour dans le monde, au prix des litres de sueur de ces travailleurs. On pourrait objecter que l’esthétisme extrême des images cache le côté obscur du sujet, jusqu’à rendre belle et acceptable la misère. Il a parfois été reproché au photographe de transformer les paysages en décors et d’esthétiser la misère et la souffrance, bref d’émouvoir au lieu d’informer. Néanmoins, une photo prise de manière isolée informe peu, il faut prendre en compte le soin que Salgado accorde aux légendes de ses images. Il parvient à maintenir un équilibre, fragile certes, entre éthique militant et esthétique. Ses légendes, ses textes narratifs, rationnels et engagés reflètent l’authenticité et la sincérité de ses photographies. En conciliant le beau et le vrai, il entend améliorer et sublimer le monde par ses représentations.
Vaiana GOIN
Terres de café, de Sebastião Salgado, éd. La Martinière, 320p., 59 €. SITE