Bien qu’il soit toujours délicat et hasardeux de généraliser, surtout dans un espace aussi divers et complexe que l’Amérique latine, force est de constater que les économies de cette région montrent quelques premiers signes d’essoufflement. Depuis 5 ans, la croissance est en baisse régulière dans l’ensemble de la région et, pour la première fois depuis 2009, le continent verra son économie reculer cette année, a annoncé lundi 5 octobre la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL).
Les prévisions pessimistes du CEPAL et du FMI. Après une dizaine d’années de croissance, l’Amérique latine se trouve dans une situation économique délicate et particulièrement vulnérable, qui est le résultat d’un décrochage progressif et continu de 2010 à 2015. La CEPAL, qui tablait jusqu’alors sur une légère croissance, “a revu à la baisse la projection de l’activité économique de la région pour 2015 de 0,5 à -0,3 %” a annoncé l’organisme de l’ONU. Le FMI et la Banque mondiale ont réitéré ces prévisions dans leur rapport présenté au cours de leur Assemblée générale réunie à Lima du 9 au 11 octobre dernier. Les principales causes de ce ralentissement ? Nombre de pays latino-américains, grands exportateurs de matières premières (hydrocarbures, minerais, agriculture) subissent de plein fouet la chute du cours du baril et celle du prix des denrées alimentaires (due à la surproduction). Le Brésil, principal exportateur de minerai de fer et de soja est particulièrement affecté par ce phénomène. De plus, et cela depuis quelques années, la Chine s’est imposée comme le premier partenaire pour le Brésil, et d’autres pays latino-américains dépendent également de Pékin. Or, la bonne santé de l’économie chinoise a été remise en question après la surprenante dévaluation du taux de change du yuan décidée au mois d’août dernier par les autorités chinoises. Cet épisode inattendu a déclenché une déstabilisation brutale des marchés boursiers internationaux et a provoqué une onde de choc importante. En outre, les rapports du FMI et de la Banque mondiale mettent en cause la faiblesse de la demande interne et l’atonie des pays développés. “L’Amérique latine souffre également du renforcement du dollar, alors que la plupart des devises latino-américaines se sont effondrées ces derniers mois, de la volatilité sur les marchés financiers et chute des cours des matières premières, l’un de ses principaux biens d’exportation” soulignent les rapports.
Des situations contrastées
Les économies latino-américaines les plus affectées sont celles qui entretiennent d’étroites relations commerciales avec la Chine et celles qui sont les plus dépendantes des matières premières. Le Brésil et le Venezuela sont les deux cas emblématiques de cette situation. Le Brésil, première économie régionale et septième mondiale est passée en moins de 5 ans de la position de “géant émergent” à celle de pays en plein marasme économique, accumulant les mauvaises nouvelles (1). Le pays est entré en récession au deuxième trimestre et son économie reculera de 2,8 % cette année. L’économie brésilienne est alors confrontée à une baisse de la consommation, une dégradation des comptes publics, à la progression de l’inflation ainsi qu’à la hausse du chômage. Par ailleurs, le Brésil souffre de déficits en infrastructures, du bas coût des matières premières, de la corruption ainsi que d’une forte bureaucratie. “Le Brésil protège son industrie manufacturière, qui, malgré cette protection et les politiques de renforcement industriel n’ont pas amélioré sa compétitivité dans les marchés internationaux” estime Jorge Garzón, chercheur au German Institute of Global and Area Studies de Hambourg. Il ajoute que “le boom économique du Brésil au cours de la période Lula était plus lié que ce que l’on pensait au coût élevé des matières premières, des produits alimentaires surtout, et à la forte demande chinoise”. Le deuxième pays le plus affecté est le Venezuela, dont l’économie chutera de 6,7 % en 2015 selon les estimations. Le pays, qui dispose des plus importantes réserves de brut de la planète, souffre surtout à cause de la chute du prix du pétrole duquel il est complètement dépendant, faute de diversification de son économie. À cela s’ajoutent le déficit de l’État et l’inflation vertigineuse. “Le pays n’est pas très attractif pour les investisseurs, pour des raisons à la fois politico-idéologiques, et économiques” estime l’économiste Ralph Rotte.
Au contraire, le Mexique, l’Amérique centrale et la Bolivie font office de bons élèves. Que font-ils de bien ? Le Panamá, la République Dominicaine, la Bolivie et le Nicaragua par exemple “appliquent des politiques économiques et budgétaires assez solides” explique le Professeur Ralph Rotte. D’autres facteurs contribuent à expliquer ces chiffres : “le Nicaragua bénéficie d’investissements chinois par rapport au Canal, la Bolivie tente de diversifier son économie, la République dominicaine profite des apports économiques du tourisme et le Panamá a signé un Traité de libre-échange avec les États-Unis et commerce surtout avec l’est et l’Europe” continue-t-il.
D’autres pays se trouvent dans une situation intermédiaire et résisteront mieux aux turbulences. Parmi eux, on trouve le Paraguay (3,3 % de croissance), la Colombie (2,9 %), le Pérou (2,7 %), l’Uruguay (2,4 %), le Chili (2,1 %), l’Argentine (1,6 %) et l’Équateur (0,4 %). Dans ce groupe de pays, comme pour les pays d’Amérique centrale, les principaux partenaires commerciaux sont les États-Unis, l’Europe, et non la Chine (pour la Colombie, le Mexique et le Pérou), ce qui maintient une demande plus stable. De plus, la part des exportations agricoles dans ces pays est plus élevée que celle des minerais et du pétrole (Paraguay, Argentine). Le Chili quant à lui, parie sur une plus grande diversification de son économie, et enfin l’Uruguay bénéficie du bas coût des importations de pétrole et s’oriente davantage sur les services, ce qui diminue sa dépendance aux matières premières.
Transition : vers nouveau modèle de croissance
Pour se relever de la crise, la région “doit lancer une transition vers un nouveau modèle de croissance qui s’appuie sur les matières premières et plus sur d’autres secteurs de l’économie, comme la productivité et les investissements” estime Alejandro Werner, chef du département Amérique latine au FMI, interrogé par l’AFP. L’OCDE conseille aux gouvernements sud-américains de profiter de leur croissance récente pour développer les secteurs à plus haute intensité de savoir, en investissant dans la recherche et développement, en aidant les jeunes entreprises et en développant les compétences requises pour exploiter les nouvelles possibilités mondiales. Dans le même temps, l’OCDE recommande d’assurer à la classe moyenne émergente des biens et des services publics plus nombreux et de meilleure qualité. Enfin, en signe d’ouverture, une douzaine de pays du Pacifique (dont le Chili, le Mexique et le Pérou pour l’Amérique latine) viennent de signer le 5 octobre dernier un accord commercial historique. L’Accord de partenariat transpacifique (TPP en anglais) prévoit de réduire les barrières douanières et d’établir des règles communes. Ce traité pourrait être l’occasion de donner davantage d’impulsion aux économies latino-américaines. Quoi qu’il en soit, l’année 2016 est vue sous un meilleur jour par les experts mondiaux : la CEPAL prévoit notamment une légère reprise de la croissance moyenne à hauteur de 0,7 %.
Vaiana GOIN