Du 30 septembre au 15 février 2016, le centre Pompidou consacre une ample rétrospective à l’œuvre et à la trajectoire de Wifredo Lam. À travers un parcours riche de près de 300 œuvres (peintures, dessins, gravures, céramiques) et agrémenté de documents d’archives, l’exposition s’attache à replacer l’œuvre de l’artiste cubain dans l’histoire internationale de l’art moderne, dont il est un des acteurs essentiels, aussi bien en Europe qu’aux Amériques.
L’œuvre de Wifredo Lam occupe une place singulière dans l’art du 20e siècle. Il est l’initiateur d’une peinture métissée qui mêle modernisme occidental et tradition afro-caribéenne. Lam est également un peintre engagé qui a pris part aux grandes causes de son temps : lutte aux côtés des Républicains durant la guerre civile espagnole, opposition à la dictature de Batista à Cuba et engagement pour les droits des noirs. Dans sa trajectoire mouvementée entre Cuba, l’Espagne, la France, les États-Unis et l’Italie, il a côtoyé les plus grandes personnalités artistiques de son temps, des surréalistes aux représentants du mouvement CoBrA, en passant par Aimé Césaire. Il a travaillé sur de nombreux supports : la peinture, le dessin, la gravure ou la céramique. Un talent protéiforme que cette grande rétrospective saura mettre en valeur avec des prêts exceptionnels comme La Jungle, œuvre phare de l’artiste conservée au MoMA de New-York.
L’exposition s’articule autour des grandes séquences qui ponctuent la vie et le travail de cet artiste témoin d’un siècle bouleversé, au gré de ses rencontres avec des artistes, des intellectuels et des poètes qui ont marqué le siècle. Elle revient sur la genèse de son travail mais aussi sur les diverses étapes et conditions de la réception et de l’intégration d’une œuvre construite entre l’Espagne, Paris-Marseille et Cuba. La rétrospective apporte un nouvel éclairage sur les œuvres majeures de son retour au pays natal, dans le contexte politique et culturel de l’époque. Il s’agit de la première grande rétrospective dédiée à l’artiste depuis celle du musée d’Art Moderne en 1983, un an après sa disparition. L’exposition voyagera ensuite au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia de Madrid du 12 avril au 15 août 2016 puis à la Tate Modern de Londres du 14 septembre 2016 au 8 janvier 2017.
Vaiana GOIN
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Biographie de Wifredo Lam
1902 – 1923 : Enfance à Cuba
Wifredo Lam est né le 8 décembre 1902 à Sagua la Grande (Cuba). Il est le huitième enfant d’un père chinois originaire de Canton et d’une mère mulâtre descendante d’esclaves congolais et d’Espagnols. Élevé dans un environnement où coexistent la pratique du catholicisme et celle des cultes voués aux dieux d’Afrique, le jeune Lam aurait été introduit, mais sans y être véritablement initié, à la religion des Lucumi (Afro-Cubains d’origine yoruba). En 1916, Lam et une partie de sa famille s’installent à La Havane. Il étudie aux Beaux-arts, où il affirme sa vocation de devenir peintre. Il reçoit une bourse afin de compléter sa formation artistique en Europe.
1924 – 1938 : Espagne
Son séjour en Espagne constitue une étape fondamentale dans sa formation artistique. Dès les années 1920, il s’affranchit progressivement de la pratique académique qui lui a été enseignée à La Havane puis à l’Académie des Beaux-arts de Madrid. Les sujets de ses œuvres sont d’abord classiques (portraits de commande, paysages et natures mortes) et elles sont imprégnées de son regard sur les grands maîtres exposés au musée du Prado. Il substitue progressivement à cet héritage celui des avant-gardes, de Gauguin aux expressionnistes allemands, mais surtout de Gris, Miró, Picasso et Matisse qu’il découvre en 1929. Sensible aux inégalités économiques et sociales qui font écho à celles de son pays d’origine, il s’attarde sur les figures de paysans espagnols et s’engage dès 1932 en faveur des Républicains, après la mort brutale de sa femme et de son jeune fils, emportés par la tuberculose. Ses œuvres espagnoles constituent un témoignage poignant de ces années, les visages sont remplacés par des masques, ce qui a été interprété comme un refus de la psychologie et une forme de dramatisation. Son séjour en Espagne s’achève en 1938, lors de son départ précipité pour Paris suite à la victoire des armées franquistes.
1938 – 1941 : France, entre Paris et Marseille
À Paris, il rencontre Picasso qu’il admire et imite dans ses premières peintures. Réciproquement, ce dernier se prend d’un vif intérêt pour lui : il l’introduit avec enthousiasme auprès de ses amis peintres, poètes et critiques d’art : Braque, Matisse, Miró ou encore André Breton. Dès cette époque, la peinture de Lam se rapproche du surréalisme auquel il adhère pleinement à Marseille, en 1940, lorsqu’il s’y retrouve réfugié après l’entrée des troupes allemandes à Paris. Il réagit à l’inquiétude ambiante en participant à la réalisation d’œuvres collectives et il réalise de nombreux dessins à l’encre de Chine sur des cahiers qui seront ultérieurement censurés par le régime de Vichy.
1941 – 1952 : Cuba et l’Amérique
En janvier 1941, lors de son voyage vers Cuba, il rencontre Aimé Césaire, poète de la négritude qui partage le même refus des rapports de domination sociale et culturelle. Son retour au pays natal après 20 ans passés en Europe l’affecte douloureusement. Il redécouvre un pays frappé par la corruption, le racisme et la misère qui sévissent sur l’île. Il redécouvre également la culture afro-cubaine et l’extraordinaire flore tropicale. Lam produit alors une œuvre peuplée de figures syncrétiques alliant le végétal, l’animal et l’humain, faisant écho à l’énergie et aux mondes spirituels propres aux cultures caribéennes. L’année 1942 est la plus prolifique de cette période : il peint La Jungle qui sera exposée par la Pierre Matisse Gallery à New-York puis achetée par le MoMA. Cependant, l’accrochage du tableau dans le couloir qui mène au vestiaire du musée témoigne des résistances du canon moderne énoncé par, et dans, les grandes institutions occidentales. Dans un premier temps, La Jungle n’a donc pu trouver sa place dans le discours linéaire d’un art moderne restreint aux productions des métropoles euro-américaines. En revanche, la réception cubaine de l’œuvre a été exceptionnelle dans un moment politiquement tendu, mais en pleine effervescence intellectuelle et culturelle. À partir de 1947, le style du peintre évolue. L’influence de l’art océanien se conjugue à celle de l’art africain et la présence d’éléments ésotériques se fait plus dominante. Son travail gagne une ampleur internationale avec des publications dans des revues prestigieuses et différentes expositions aux États Unis, en Haïti, à Cuba, en France…
1952 – 1962 : Paris, Caracas, La Havane, Albissola, Zurich
Durant cette période, les nombreux voyages éloignent Lam de son atelier. En 1952, il met fin à son séjour cubain et s’installe de nouveau à Paris. Il se lie d’amitié avec de nombreux artistes et écrivains et son œuvre est célébrée dans de nombreuses expositions et rétrospectives d’envergure internationale. Il se confronte à de nouveaux matériaux, comme la terre cuite, et expérimente des formes nouvelles.
1962 – 1982 : Paris, Albissola
En 1962, il s’installe en Italie, à Albissola, important centre de céramique où il séjournera régulièrement jusqu’à la fin de sa vie en 1982. Il produira près de trois cents céramiques. Ces années sont aussi occupées par de nouveaux voyages – Égypte, Inde, Thaïlande, Mexique – et une reconnaissance institutionnelle croissante. Travailleur infatigable, Lam a joué depuis les années 60 un rôle d’ambassadeur de la peinture cubaine dans le monde, et du développement pictural européen à Cuba.
Vaiana GOIN