À l’issue de plusieurs jours de compétition, le cinéma latino-américain a triomphé à la Mostra de Venise. Les deux seuls films latino-américains en compétition ont reçu les deux prix les plus convoités. Desde Allá, du réalisateur vénézuélien Lorenzo Vigas, a remporté le Lion d’Or du meilleur film, tandis que l’argentin Pablo Trapero a reçu le Lion d’Argent du meilleur metteur en scène avec El Clan.
Desde Allá, récompense suprême de la Mostra. Lorenzo Vigas, avec son premier long-métrage obtient la récompense suprême de la Mostra. Desde Allá raconte la relation tumultueuse entre Armando, prothésiste dentaire homosexuel de 50 ans et Elder, jeune homme de 18 ans, chef d’une bande de voyous.
Le thème de la paternité
Vigas a su convaincre le jury présidé par le Mexicain Alfonso Cuarón grâce à cette histoire qui, sous couvert d’une histoire d’amour homosexuelle, trace le portrait sans concession de la dure réalité sociale qui règne à Caracas. « Ce n’est pas un film sur l’homosexualité, mais davantage sur les carences affectives, dans un pays qui a beaucoup été bouleversé ces derniers temps. Il représente avant tout une relation paternelle entre deux personnes », explique Lorenzo Vigas dans une interview accordée à BBC Mundo. En effet, et même si Vigas regrette que l’homosexualité soit toujours stigmatisée en Amérique latine ; il ne faut pas s’y méprendre car le sujet de la paternité reste son thème de prédilection : « J’ai réalisé un court-métrage qui s’appelle Los elefantes nunca olvidan [les éléphants n’oublient jamais, ndlr], que je considère comme étant la première partie de cette trilogie, et je suis actuellement en train de travailler sur un prochain scénario qui sera le dernier abordant le thème de la paternité. Ce sont des films dans lesquels les pères sont toujours absents ». Dans ses histoires, Vigas cherche à dresser le portrait du père en Amérique latine, continent où la figure paternelle est presque toujours absent de la maison : « Nous vivons dans des pays principalement matriarcaux où c’est la mère qui gère le foyer ». continue-t-il dans la même interview. Lorenzo Vigas est le fils de l’artiste vénézuélien Oswaldo Vigas, disparu en 2014 et dont l’œuvre est largement reconnue en Amérique latine, en Espagne et en France. « J’ai vécu entouré de ses peintures. J’ai eu une relation très affective et entière avec lui. Cependant, mes histoires sont des histoires de pères absents » a-t-il signalé.
Un appel au dialogue et à la responsabilité
Les difficultés sociales, politiques, et économiques que traverse le pays donnent au film encore plus de profondeur. Pendant sa réalisation, Vigas avait en tête cette noble intention : inviter ses compatriotes à réagir et à dialoguer. « Ce n’est pas un secret, au Venezuela il y a une grande tension en ce moment. Nous sommes en train de traverser une crise économique grave et il y a eu ces dernières années une séparation stricte entre différents secteurs de la société. Il s’agit de quelque chose de temporaire, et justement nous avons la responsabilité d’apporter la première pierre à l’édifice pour commencer à dialoguer entre les différents secteurs de la société. C’est la responsabilité de tous et même des instances qui sont au pouvoir en ce moment ». Pour lui, face à ce manque de dialogue, l’art, et le cinéma particulièrement, ont pour fonction de critiquer, de mettre le doigt sur des thèmes compliqués, dans le but de faire réagir.
Une fierté personnelle, nationale mais aussi régionale
C’est la première fois qu’un film vénézuélien participait à la prestigieuse compétition de Venise, une première très réussie : « Je suis très content pour mon pays et pour toute l’Amérique latine. C’est une immense joie. Nous recevons le prix avec beaucoup d’humilité en sachant que c’est le produit de beaucoup de travail, un projet dans lequel l’équipe a concentré beaucoup d’efforts » a-t-il déclaré au moment de recevoir le prix. Loin de considérer son prix comme une victoire nationale, il a tenu à souligner la diversité latino-américaine présente dans son film. Son équipe de production comporte à ce titre de nombreux talents provenant de différents pays d’Amérique latine. « Nous vivons dans un pays très déconnecté culturellement parlant. C’est très triste, au Venezuela, nous ne voyons pas les films colombiens, qui est pourtant juste à côté. Et en Colombie, ils ne voient pas les nôtres. En Argentine, ils ne voient pas les mexicains et au Mexique ils ne voient pas les chiliens » regrette-t-il. Aujourd’hui, Vigas vit à Mexico et à Caracas. « Je partage ma vie entre les deux villes, mais je tenais à faire un film dans ma ville » indique-t-il. « Je pense que c’était le meilleur endroit pour tourner l’histoire, afin de montrer non seulement les choses dures de Caracas, mais aussi les belles choses. C’est une ville merveilleuse pour tourner ». Desde allá a été financé par le Centre National Autonome du Cinéma (CNAC), instance directrice de la Plateforme du Cinéma et des Médias Audiovisuels au Venezuela. Un organisme dont Vigas fait l’éloge : « Il a su se maintenir autonome, avec une vision complètement impartiale sur les thèmes du pays et ceci s’est avéré très important au cours de ces dernières années. Le fruit de son travail a pu être vu dans le monde entier : le film « Azul y no tan rosa » a gagné le prix Goya, « Pelo malo » a gagné la Concha de oro. C’est pour ça que je me sens si fier d’avoir pu compter sur son soutien ». Vigas reconnaît enfin que « à cause de la situation du pays et de la grande inflation, il est devenu compliqué de faire du cinéma, mais c’est un défi qu’il vaut la peine d’affronter car les belles choses qu’offre le Venezuela sont très attractives pour le cinéma ». Un de ses plus grands souhaits serait que l’industrie cinématographique vénézuélienne bénéficie de ce triomphe. « Tout est possible, il faut rêver et travailler dur. J’ai travaillé très dur pour finaliser ce projet. Je le prépare depuis des années et, tout à coup, il devient le premier film latino-américain à gagner le Lion d’or. Cela veut dire que tout est possible. Il faut viser le plus haut possible et faire les choses avec dévouement et rigueur ».
El Clan et les autres promesses du cinéma latino-américain
De son côté, le réalisateur argentin Pablo Trapero a reçu le Lion d’Argent du meilleur metteur en scène grâce à son film El Clan. Ce thriller glaçant reconstitue l’affaire des Puccio, famille apparemment « sans histoire » mais qui a organisé une série d’enlèvements entre 1983 et 1985, alors que l’Argentine expérimentait la démocratie au sortir de la dictature militaire.
Ces deux films confirment la puissance du cinéma latino-américain et sa vitalité. À ce propos, Alberto Barbera, directeur de la Mostra de Venise, a fait l’éloge de la maturité du cinéma latino. Selon lui, l’Amérique latine semble même être le continent aux plus grandes promesses cinématographiques. Quoi qu’il en soit, nous verrons si ce succès se confirme lors du prochain festival de Cinéma de San Sebastian (Espagne) qui se déroulera du 18 et 26 septembre prochain. Le cinéma latino y sera représenté dans toute sa diversité. Dans la sélection officielle figurent quatre films latino-américains : El apostata (Chili-Espagne-Uruguay), El rey de La Habana (Espagne-Cuba) ; Eva no duerme (Mexique-Argentine-Espagne) et Truman (Espagne-Argentine).
Vaiana GOIN
Alain LIATARD
D’après : BBCMundo (interview de Lorenzo Vigas) 14ymedio.com — peru21.pe — tvn-2.com —bbc.com
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