Les enjeux déclarés ou secrets de l’ouverture vers Cuba du président Obama

La nouvelle politique du gouvernement états-unien ne serait-elle pas motivée par de simples intérêts politiques et économiques ? L’ouverture d’ambassades dans les deux pays n’efface pas le problème de fond : mettre fin à un embargo de 50 ans et abandonner la volonté de « forcer un changement » à Cuba…

Tout commence en 1960 lorsque le président US Dwight Eisenhower suspend l’importation traditionnelle de sucre cubain. En réponse, Cuba nationalise des secteurs importants de son économie : téléphones, pétrole, banques. Eisenhower prépare alors une flottille de 1 400 exilés cubains entraînés par la CIA devant envahir Cuba et renverser Fidel Castro. L’opération est reprise par son successeur John Kennedy, avec le succès que l’on sait : débarqués le 17 avril 1961 par des navires US sur la Baie des Cochons, la plupart des envahisseurs sont tués ou faits prisonniers. Le 3 février 1962, le président Kennedy décrète l’embargo total contre Cuba : économique, culturel, commercial et financier… En 1996, sous la présidence de Bill Clinton, la loi Helms-Burton impose l’embargo au reste du monde en autorisant les États-Unis à engager des représailles contre toute entreprise étrangère faisant du commerce avec Cuba ! De nombreuses entreprises européennes et canadiennes ont ainsi écopé des amendes ou des interdictions d’entrée aux États-Unis. Entre 2009 et 2014, Obama a fait appliquer des sanctions pour une valeur de près de 3 milliards de dollars à 36 entreprises de divers pays pour le « délit » de faire du commerce avec Cuba. Sans oublier l’amende de 9 milliards de dollars infligée à la BNP française et celle de plus d’un milliard imposée à la Commerzbank allemande pour la même raison.

Mais après 50 ans d’embargo, le président Obama est bien obligé de reconnaître la faillite de cette politique : le 17 décembre 2014, il ne peut que constater que « Quand quelque chose ne fonctionne pas, il faut changer. Nous changerons… ». Des discussions bilatérales commencent… En mars 2015, la secrétaire d’État adjointe pour l’Amérique latine, Roberta Jacobson, se rend à La Havane pour rencontrer son homologue cubaine, Josefina Vidal dans le but de négocier la restauration des relations diplomatiques et la réouverture des ambassades fermées par décision des États-Unis depuis 1961. Elles se confirment lors du Sommet des Amériques d’avril dernier à Panama : les présidents Obama et Castro se rencontrent. Peu après, les États-Unis retirent Cuba de la liste des pays accusés de fomenter le terrorisme dans le monde. La porte est ouverte à de véritables négociations.

Un pas important : l’ouverture des ambassades

Un pas décisif est franchi lorsque le représentant des intérêts états-uniens à Cuba, Jeffrey DeLaurentis, remet au ministère cubain des Affaires étrangères une lettre proposant la réouverture des ambassades. Le représentant des intérêts cubains aux États-Unis, José Cabañas, répond au secrétaire d’État par intérim Anthony Blinken : « Cuba est heureuse d’accéder au rétablissement des relations diplomatiques avec les États-Unis et d’ouvrir des missions permanentes dans nos pays à partir du 20 juillet 2015 ». Cuba se félicite du progrès des négociations mais insiste : « L’intention de développer des relations respectueuse et de coopération entre les deux peuples et gouvernements doit être basée sur les principes de la Charte des Nations unies et du Droit international ». De son côté, le président Obama estime qu’ « il s’agit là d’un pas historique vers la normalisation des relations avec Cuba et son peuple et d’ainsi commencer un nouveau chapitre avec nos voisins des Amériques ». Cette nouvelle attitude des États-Unis serait une bonne nouvelle pour « les voisins des Amériques » mais suscite quelques doutes lorsque le même président Obama vient de traiter le Venezuela « de menace essentielle pour la sécurité des États-Unis », ce qui fait quand même un peu sourire…

Plusieurs contentieux importants

Il reste plusieurs contentieux à régler. Les États-Unis exigent de Cuba un dédommagement de 7 milliards de dollars pour la nationalisation d’entreprises privées US dans les années 1960. Cuba répond que les États-Unis lui doivent 116 milliards en pertes provoquées par un embargo illégal au regard du droit international. Les États-Unis exigent de Cuba « une plus grande liberté de réunion et d’expression ». Cuba exige la fin de l’embargo et la restitution de l’enclave de Guantanamo que les États-Unis occupent de force depuis 1903. Les États-Unis parlent de liberté d’association, Cuba souhaite des précisions dans les accords relatifs aux activités des ambassades, celle des États-Unis dans les pays considérés comme « hostiles » ayant la réputation d’être plus peuplée d’agents secrets que de diplomates. Obama rappelle les lignes traditionnelles des politiques de coopération US : « La lutte contre le terrorisme, la réaction rapide lors de catastrophes naturelles, le développement ». Ce qui laisse Cuba un peu circonspecte, cette «coopération » n’étant souvent qu’une méthode pratique pour les États-Unis d’envoyer des troupes dans un pays…

Changement de politique pour les mêmes objectifs ?

En lisant les déclarations des autorités états-uniennes, on se rend compte qu’un objectif, moins déclaré mais bien présent, reste le renversement du gouvernement cubain et son remplacement par des autorités plus favorables au néolibéralisme. Ce que reconnaît implicitement Roberta Jacobson qui rappelle que le gouvernement a récemment demandé des fonds au Congrès pour poursuivre les programmes de déstabilisation du gouvernement cubain. De plus, Obama annonce la couleur : « Ce changement de politique va nous faciliter le travail pour former les entreprises privées cubaines et développer le secteur privé naissant à Cuba. D’autres méthodes pour promouvoir le secteur privé seront étudiées… » Le gouvernement US a donc clairement toujours la volonté d’interférer dans le modèle cubain. Il n’est pas le seul : pour John Boehner, président de la Chambre des représentants, « l’accord octroie une légitimité à une brutale dictature communiste ». Le maire d’origine cubaine de Miami, Tomás Regalado, est aussi clair : « Il ne peut y avoir de consulat cubain à Miami où des milliers de Cubains ont des blessures encore ouvertes ». La députée républicaine Ileana Ros-Lehtinen annonce que son parti « non seulement ne votera pas un dollar pour la nouvelle ambassade mais qu’il ne confirmera aucun ambassadeur US à La Havane car nous n’avons vu aucun changement à Cuba… »

Obama souhaite « transformer Cuba en un pays ouvert et démocratique ». Comme c’est exactement ce que disaient les généraux US en Irak, on peut comprendre la méfiance des autorités cubaines… La pré-candidate démocrate aux prochaines élections US, Hilary Clinton, soutient Obama car «une ambassade à La Havane nous aidera à nous engager auprès du peuple cubain dans la construction des efforts qui soutiennent un changement positif… »

Le gouvernement cubain ne rejette pas la nécessité d’une ouverture du secteur privé mais craint une avalanche qui lui ferait perdre le contrôle politique qui pourrait mener à terme à la destruction des acquis sociaux, de la santé et de l’éducation. La fin de l’embargo est le litige le plus sérieux. Pour le président Castro, pas de fin d’embargo, pas de progrès possible dans les relations entre les deux pays. Le président Obama rappelle que cette décision est entre les mains du Congrès US qui peut très bien refuser la fin du boycott US. Pire : si le Parti républicain gagne les élections de l’année prochaine, il est tout à fait possible qu’il annule toutes les négociations. Ce type de réactions explique sans doute la prudence des autorités cubaines. Quoi qu’il en soit, les Cubains sont en général favorables au rétablissement des relations normales entre les deux pays surtout si cela signifie la fin du blocus. L’embargo coûte cher et empêche tout développement économique et industriel de l’île. De son côté, l’opinion publique états-unienne et, surtout, un important secteur économique et industriel semble de plus en plus favorable à la fin de l’embargo, ce qui lui permettrait d’entrer en force à Cuba, un marché potentiel non négligeable comme l’ont bien compris les Européens et les Canadiens qui sont déjà là et risquent de prendre toute la place.

Soutien international

Au niveau international, tous les pays membres des Nations unies ont voté pour la fin de l’embargo sauf les États-Unis et Israël (trois petites îles du Pacifique dépendantes des États-Unis se sont abstenues). Le MercoSur, l’ALBA, l’Alliance pour le Pacifique, la CELAC et l’Union européenne sont tous favorables au rapprochement entre les deux pays. Même le Pape François a été bien reçu par le président Raúl Castro et La Havane est le siège des négociations de paix entre le gouvernement et la guérilla colombiens sous l’auspice du Chili et de la Norvège. Difficile de continuer à bouder Cuba… La présidente Dilma Rousseff du Brésil espère que « ce moment  historique mettra fin aux derniers vestiges de la guerre froide ». En fin de compte, s’il s’agit bien d’une victoire politique pour Cuba et l’Amérique latine, tant que les États-Unis afficheront leur objectif de « changer Cuba », la guerre idéologique, elle, est loin d’être terminée…

Jac FORTON

L’auteur prend bien sûr la responsabilité de ses opinions qui ne reflètent pas nécessairement celles de l’ensemble de la rédaction d’Espaces Latinos.