Une ville cubaine, Santa Clara, une journée qui commence par la découverte d’un cadavre et qui finira par celle des coupables : tout semble classique dans la structure, avec en particulier l’unité de lieu et de temps, mais heureusement rien ne l’est dans ce qui est décrit. Il y a bien sûr l’enquête, mais aussi et surtout la vie quotidienne dans une zone à la fois banale et assez particulière d’une agglomération ignorée des médias mais qui est un bon miroir des réalités cubaines.
Peu de gens vont regretter celui qu’on a retrouvé au petit matin, un ancien professeur d’éducation physique, ancien danseur devenu, en quittant sa ville natale de Santa Clara proxénète et amateur de jeunes gens. Pourquoi était-il revenu ? Pourquoi l’a-t-on tué à coups de marteau de cordonnier, quand on sait que l’unique réparateur de chaussures du quartier est lui-même un ancien délinquant ? Léo Martín, le policier de La vie est un tango, est chargé de l’enquête qui le conduit dans le milieu des jineteras, ces filles ou ces femmes qui, pour améliorer leur ordinaire, particulièrement modeste dans cette période spéciale, se prostituent aussi bien avec les touristes de passage qu’avec les proches du pouvoir. Coupable vous êtes nous offre avant tout une savoureuse galerie de personnages féminins qui ne manquent ni de caractère ni de vocabulaire, elles ont souffert, pour elles rien n’est facile, elles se sont endurcies au contact des violences subies, mais pour la plupart, l’humour est une façon de survivre. L’humour et le réalisme.
Le réalisme (si le mot signifie quelque chose de nos jours) est partout dans ce roman : chaque page se situe au niveau de la réalité quotidienne : ce qu’on peut manger et ce à quoi on n’a pas accès, le nombre et la modernité des appareils ménagers présents dans une cuisine, donnent une idée précise du niveau social du locataire du lieu. On pénètre dans des logements modestes, on rencontre des petites gens, qu’on ne croise que rarement dans la littérature récente, on découvre des moments de vie, comme par exemple cette histoire d’amour inattendue et très belle entre une jinetera et un jeune homme timide, qualifié d’“esprit faible” et mis à la porte par sa famille parce qu’il ne lui rapporte rien. L’enquête avance entre deux descriptions très justes de lieux de vie sans luxe et deux récits de vies chaotiques. Lorenzo Lunar le cache bien, mais il éprouve une vraie tendresse pour la plupart de ses personnages, surtout pour ceux qui sont le plus cassés par la vie. Dans l’épilogue, Leo Martín jure qu’il va quitter la police. Nous espérons bien qu’il ne tiendra pas sa promesse et qu’il nous offrira d’autres tranches de vie aussi réussies que celle-ci !
Christian ROINAT
Coupable vous êtes, de Lorenzo Lunar traduit de l’espagnol (Cuba) par Morgane Le Roy, éditions Asphalte, 144 p., 16 €.
Lorenzo Lunar en espagnol : La vida es un tango et Usted es la culpable, éditions Almuzara, Córdoba / Dónde estás, corazón, éditions Arcopress, Córdoba.
Lorenzo Lunar en français : La vie est un tango, éditions Asphalte.