Pour la deuxième année consécutive, la France consacre un temps fort à l’Amérique latine. Du 26 mai au 7 juin 2015 des manifestations variées auront lieu pour mettre en avant les sociétés et cultures de l’Amérique latine. Nous nous sommes entretenus avec Philippe Bastelica, nommé commissaire de cette manifestation, sur les objectifs de la “Semaine de l’Amérique latine” en France. Voici quelques extraits de l’entretien que nous avons publié dans son intégralité dans notre dernier trimestriel daté mars-mai 2015.
Diplomate de carrière, Philippe Bastelica a servi successivement à la mission permanente de la France auprès des Nations unies, où il suivait les dossiers politiques relatifs à l’Amérique latine, à l’Afrique, à l’Asie et à la décolonisation (1984-1988). Il a été un collaborateur de François Mitterrand en tant que chargé de mission à la présidence de la République (1990-1993). Philippe Bastelica a été de 1997 à 2001 conseiller culturel, scientifique et de coopération de l’ambassade de France en Tunisie puis directeur des relations internationales (2001-2010) de l’École nationale d’Administration, avant de devenir, de 2010 à 2013, ambassadeur de France au Guatemala. Depuis octobre 2013, Philippe Bastelica est chargé de mission auprès de la directrice des Amériques et des Caraïbes au ministère des Affaires étrangères.
Vous êtes chargé, pour la seconde année consécutive, de coordonner la Semaine de l’Amérique latine et des Caraïbes. D’où vient cette initiative ?
En février 2011, le Sénat a adopté à l’unanimité une résolution par laquelle il formulait le vœu que soit célébrée chaque année, le 31 mai, une Journée de l’Amérique latine et des Caraïbes. Celle-ci a effectivement été organisée de 2011 à 2013 et a donné lieu à différentes manifestations institutionnelles ou symboliques impliquant notamment le Sénat et son président, les ambassades en France des États d’Amérique latine et des Caraïbes et la Maison de l’Amérique latine.
En 2014, la présidence de la République a souhaité que le pouvoir exécutif s’associe à son tour à cette célébration et saisisse cette occasion pour affirmer la priorité que notre diplomatie accorde aujourd’hui à nos relations avec cette partie du monde, pour mettre en valeur les liens séculaires qui nous unissent à elle et pour illustrer les perspectives qu’elle représente, dans tous les domaines, pour notre pays. Nous préparons désormais l’édition 2015, avec la volonté que ce rendez-vous annuel devienne pérenne.
À quoi cette exception latine est-elle due?
La France entretient avec l’Amérique latine et avec les Caraïbes une relation singulière. Regardons d’abord la géographie : de prime abord, on dirait qu’une grande distance nous sépare de ces pays ; ce n’est évidemment pas faux et pourtant, n’oublions pas que c’est avec le Brésil que la France partage sa plus grande frontière terrestre, le long du département de la Guyane, le plus grand département – et aussi, d’ailleurs, la plus grande région – de France.
Ensuite, malgré cette distance, nos histoires sont étroitement entremêlées. On cite souvent l’influence de la philosophie des Lumières sur le mouvement des indépendances dans cette partie du monde. L’Amérique latine n’a pas été ici simplement spectatrice ou imitatrice. D’abord, elle s’est pleinement approprié ce capital intellectuel. J’ai appris au Guatemala que le Contrat social avait été dès 1795 l’objet d’une thèse soutenue à l’Université de San Carlos.
Mieux, les Latino-Américains ont épousé sur le champ de bataille les idées de la Révolution, comme en témoigne le nom de Miranda, héros de Valmy, gravé dans la pierre de l’Arc de triomphe en tant que général de division de la Révolution.
Il y a là, en effet, de riches symboles, mais ne s’agit-il pas d’un passé depuis longtemps révolu?
On pourrait tout aussi bien se pencher sur la manière dont, depuis deux siècles, des dizaines d’écrivains, de penseurs ou d’artistes de premier plan n’ont cessé de voir dans Paris une sorte d’Eldorado, pour recourir à une image que nous appliquons volontiers à l’Amérique latine. C’est ainsi que peu de Français ont été des lecteurs plus assidus ou plus sensibles de la littérature française de leur temps que le poète nicaraguayen Rubén Darío.
Ces artistes, ces intellectuels se sont nourris, parfois avec avidité, de ce que la France et sa capitale pouvaient leur offrir d’émotions esthétiques ou de débats d’idées. En retour, ils ont imprimé leur marque sur la vie intellectuelle et artistique de notre pays. À cet égard, il serait juste de dire, par exemple, ce que le souvenir d’Auguste Comte doit aux soins dont le Brésil ou le Mexique continuent de l’entourer.
Notre histoire commune est aussi faite des mouvements humains qui ont conduit parfois des communautés entières, venues entre autres de Barcelonnette ou du Béarn, parfois aussi de simples individus, à partir vers l’Amérique latine pour y faire souche, attirés par une nature plus généreuse ou par les promesses – quelquefois tenues – de l’aventure.
En retour, la France a aussi ouvert ses portes à ceux qui empruntaient les chemins de l’exil parce qu’ils continuaient de croire à la liberté, mise à mal par des régimes autoritaires. Les liens qui se sont ainsi tissés ont souvent résisté même à la mort : pour nous en convaincre, rendons-nous devant la tombe de Miguel Ángel Asturias qui a choisi de reposer au Père Lachaise, à l’ombre d’une stèle d’inspiration maya, tandis que ses manuscrits sont conservés à la Bibliothèque nationale de France, ou encore, au cimetière du Montparnasse, devant celle de Carlos Fuentes, non loin de Julio Cortázar, qui, lui, il est vrai, avait passé à Paris toute la seconde moitié de sa vie.
Cette Semaine de l’Amérique latine et des Caraïbes est-elle alors avant tout un exercice de mémoire?
La mémoire y a sa place, mais le souvenir du passé ne prend tout son sens que lorsqu’il éclaire le présent et sert de socle pour l’avenir. L’état des lieux, c’est que la France entretient avec l’Amérique latine et les Caraïbes des relations étroites, plus étroites qu’on n’en a parfois conscience. Près de 30 000 élèves, en majorité latino-américains, dans les écoles françaises du sous-continent, c’est un nombre considérable qui constitue pour nous à la fois la récompense d’un effort soutenu dans la durée, une chance et une responsabilité.
19 000 étudiants latino-américains en France, qui font de notre pays leur troisième pays d’accueil dans le monde, après les États-Unis et l’Espagne, c’est également un atout qu’il nous appartient de mesurer, de valoriser et de renforcer. La vigueur de nos échanges scientifiques est tout aussi remarquable.
Donc le premier message de la Semaine de l’Amérique latine et des Caraïbes, c’est de redire à ces peuples que la France n’est pas pour eux une amie du passé mais bien du présent et qu’il nous appartient de construire ensemble une relation encore plus forte et plus féconde pour l’avenir. Ce message s’adresse aussi aux Français qui ne connaissent pas ou pas très bien l’Amérique latine, afin qu’ils prennent la mesure des intérêts que nous partageons avec cette région du monde et du potentiel plus grand encore qu’elle recèle.
La France est déjà là-bas un des grands investisseurs étrangers. Mais nous pourrions certainement attirer encore davantage les investissements ou le tourisme latino-américains en France et nous pourrions assurément développer notre commerce, qui n’est pas à la hauteur du reste de nos échanges.
Nous avons tout à gagner, de part et d’autre, à cette intensification de nos relations, sans oublier, ni laisser oublier, que nous ne sommes pas, pour nos partenaires, un pays isolé, mais une porte ouverte sur l’Union européenne, un accès privilégié au premier ensemble économique et commercial dans le monde.
Propos recueillis par
Mona HUERTA
*Pour tout contact : semaine-alc@institutdesameriques.fr ou www.diplomatie.gouv.fr
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