L’Orchestre national d’Île-de-France accueillait en avril dernier l’œuvre Edades Ciegas du musicien et compositeur chilien Marco Antonio Pérez Ramírez. Retour sur l’œuvre et le parcours musical d’un personnage qui nous rappelle que la musique est avant tout la langue des émotions.
Les 3 avril et 7 avril 2015 à Argenteuil et à la Philarmonie de Paris a été créée l’œuvre “Edades ciegas” de Marco Antonio Pérez Ramírez par l’Orchestre national d’Île-de-France, sous la direction du chef invité Fabien Gabel. Marco Antonio est né à Santiago-du-Chili en 1964 et dirige actuellement l’Orchestre symphonique Bienne Soleure, dans le canton de Neuchâtel en Suisse. Il possède un parcours musical riche. Après avoir été l’élève d’Alberto Ponce en guitare classique, il aborde la composition auprès de Sergio Ortega. Il suit le cursus de composition et d’informatique musicale de l’IRCAM à Paris. De 2002 à 2005 il est compositeur en résidence auprès de l’Orchestre national de Montpellier, pour lequel il écrit quatre œuvres, dont Achachilas et Atacama (2005), un concerto pour violon et orchestre. Ensuite il est en résidence à l’Orchestre philarmonique de Strasbourg et la composition devient son domaine de prédilection.
L’œuvre de Marco Antonio Pérez Ramírez est puissante, minérale, très structurée – on écrirait même structurale en référence à la géologie structurale, aux masses rocheuses des Andes, aux failles, peut-être aux traces des séismes, comme il en advient si fréquemment dans la nature chilienne. Le compositeur s’exprimant lors de l’avant-concert, dans la salle de répétition de la Nouvelle Philarmonie, nous dit qu’il cherche à créer des “trous”, “des abîmes” et rappelle que cette pièce, commandée par l’Orchestre d’Île-de-France, est dédiée à la mémoire de son père, disparu récemment. L’entame du violon, déchirante, exécutée par le soliste vénézuélien de l’Orchestre, Alexis Cárdenas, marque le début d’une œuvre brève, exigeante, dirigée d’une baguette ferme par Fabien Gabel.
Dans le programme du concert le compositeur commente son ouvrage avec ces phrases très personnelles et éloquentes : “Edades ciegas est un voyage – le mien, qui de pièce en pièce s’épure toujours plus. Il me faut sans cesse redire, ne pas m’arrêter, pour atteindre l’essentiel : ces âges aveugles, siècles stellaires, durées incommensurables, qui créent des abîmes violents, arides, durs, et qui nous permettent de nous perdre, d’explorer de nouveaux territoires où le soi peut enfin se dévoiler sans faire semblant.” L’œuvre musicale, ramassée en cinq minutes, évoque en effet, par son titre, emprunté au Canto General de Pablo Neruda, les dernières strophes du célèbre poème “Sube a nacer conmigo, hermano” (Alturas de Macchu Pichu XII) : A través de la tierra juntad todos / los silenciosos labios derramados / y desde el fondo habladme toda esta larga noche / contadme todo, cadena a cadena, / eslabón a eslabón, y paso a paso, / afilad los cuchillos que guardasteis, / ponedlos en mi pecho y en mi mano, / como un río de rayos amarillos, / como un río de tigres enterrados,/ y dejadme llorar, horas, días, años, / edades ciegas, siglos estelares.
Christian GIRAULT