Agustín Edwards, cinquième du nom de cette famille de la haute bourgeoisie et propriétaire du principal journal chilien El Mercurio, a été expulsé du Collège des journalistes chiliens. Quarante ans après la collaboration d’Edwards avec le gouvernement de Pinochet, un sentiment de justice gagne enfin les journalistes qui ont déposé plainte.
On se souvient que, dès 1967, les étudiants chiliens avaient tendu sur l’Université catholique à Santiago, une bannière disant “El Mercurio miente” (le Mercurio ment). N’acceptant pas la victoire du socialiste Salvador Allende aux élections présidentielles de 1970, le président des États-Unis Richard Nixon donne l’ordre à la CIA d’entreprendre les actions nécessaires pour mener à un coup d’État contre Allende. Selon Richard Helms, alors directeur de la CIA, “la réunion à la Maison Blanche fut en partie provoquée par le récit d’Agustín Edwards invité par Don Kendall, président de Pepsi Cola, sur la situation politique au Chili. Le président Nixon était prêt à débloquer 10 millions de dollars” (1). En 1971, les États-Unis envoient 700 000 puis 865 000 dollars au Mercurio pour dénigrer systématiquement Allende dans ses colonnes. L’objectif du module CIA-Edwards, bien aidé par le Parti Démocrate Chrétien qui recevait aussi sa part de billets verts, était de provoquer un mécontentement populaire afin qu’Allende doive s’en aller ou mieux encore, que l’armée prenne le pouvoir.
Durant les trois années du gouvernement Allende, Edwards s’est exilé aux États-Unis abandonnant la direction de son quotidien à Fernando Leniz et Hernán Cubillos qui, après le retour d’Edwards au Chili une fois la dictature bien installée, deviendront ministres de l’Économie et des Affaires Étrangères de Pinochet. Le Mercurio d’Edwards fut ainsi un grand allié de Pinochet durant toute la dictature, publiant en première page tous les mensonges de la désinformation dictatoriale. Par exemple, “Allende a monté une armée de 11 000 hommes, la plupart Cubains”. Inutile de dire qu’on n’en trouvera jamais la moindre trace!
Autres exemples significatifs
“Une belle jeune femme étranglée.”: Le 14 septembre 1976, le journaliste Pablo Honorato du quotidien Las Últimas Noticias, appartenant à la chaîne des journaux d’Edwards, raconte que “le cadavre d’une jeune femme de 23 ans a été trouvé sur une plage, étranglée avec un fil de fer et présentant plusieurs fractures aux poignets, probablement le fait d’un maniaque sexuel” selon le journaliste. Tout est faux. Il s’agissait du corps de Marta Ugarte, 42 ans, militante communiste arrêtée par la DINA, la police secrète de Pinochet, torturée, assassinée puis jetée à la mer attachée à un bloc de béton ou un tronçon de rail pour qu’on ne retrouve jamais son corps. Mais voilà, le lien s’est défait et la mer avait rejeté le corps sur la plage. Il fallait inventer une histoire. Agustín Edwards n’avait pas hésité à publier ce grossier mensonge…
Les violences du Parti communiste contre le Pape: Le 1er avril 1987, le Pape Jean-Paul II visite le Chili. Alors qu’il lit son discours devant la foule du Parc O’Higgins, des individus provoquent des incidents auxquels la police répond immédiatement par des lancers d’eau et des gaz lacrymogènes devant un Pape consterné par cet immense chaos… Six jours plus tard, le Mercurio annonce en première page que deux membres du PC ont provoqué le désastre : il donne leurs noms et leurs photos. Tout est faux. En réalité les deux jeunes gens avaient été arrêtés la veille par la CNI, nouvelle police secrète de Pinochet puis torturés pendant 10 jours. Les provocateurs étaient en fait des militaires et l’intervention ultra rapide de la police montre que la provocation était préméditée. Toute l’affaire n’était qu’un montage réalisé par la police secrète avec la complicité du Mercurio pour faire croire au Pape et au monde que les communistes étaient les ennemis et que seule la dictature pouvait les arrêter…
Expulsé du Collège des journalistes !
Un groupe de journalistes a récemment déposé une demande d’expulsion d’Edwards du Collège des journalistes “pour manquements graves à l’éthique”. Le tribunal d’éthique du Collège a accepté la demande et expulsé Agustín Edwards pour sa participation au coup d’État et son “manque d’éthique journalistique durant la dictature”. Il aura fallu 40 ans pour que des journalistes osent s’attaquer à ce bastion de la droite chilienne, grand défenseur de la dictature et soutien sans faille des Chicago Boys civils qui ont imposé un néolibéralisme effréné à une population réprimée dans le sang. La sanction est surtout morale puisqu’Edwards n’a pas été ni ne sera jugé, encore moins condamné. Mais c’est un petit peu de justice qui touche enfin un de ces nombreux civils qui ont collaboré à la dictature.
Jac FORTON
(1) Réponse de Helms à un membre d’une commission sénatoriale étatsunienne le 15 juillet 1975.