L’écrivain uruguayen Eduardo Galeano est décédé ce lundi 13 avril à l’âge de 74 ans, d’un cancer des poumons. Les hommages à cet intellectuel de gauche sont nombreux, bien que son œuvre ne fasse pas l’unanimité (tant pour lui-même). – Dessin de Rapé (Rafael Pineda) , notre collaborateur mexicain.
Issu d’une famille aisée de descendants immigrés européens, Eduardo Germán María Hughes Galeano est né à Montevideo en 1940. Il a porté de nombreuses casquettes : ouvrier, employé de banque, dactylo, coursier, journaliste, écrivain, peintre, caricaturiste… c’est grâce à cette dernière qu’il est entré dans la profession de journaliste, à l’âge de 14 ans. Exilé lors de la dictature uruguayenne 1973-1985, d’abord en Argentine puis en Espagne, il n’aura de cesse d’élargir ses domaines et ses sujets de production littéraire : essais, romans, poésie, tant sur le football que sur l’histoire sociale et économique du continent latino-américain, en passant par les violences faites aux femmes.
L’œuvre qui l’a rendu célèbre hors de frontières de son pays natal est Les veines ouvertes de l’Amérique latine, une contre histoire. Écrit en 1971 – publié dix ans plus tard en France aux éditions Plon-, cet essai accompagné de dessins de l’auteur retrace la conquête des colons espagnols et portugais du continent sud-américain, puis la constante exploitation de ses ressources tant matérielles qu’humaines par les puissances internationales. Traduit en plus de vingt langues, interdit sous les dictatures uruguayenne, chilienne et argentine, Les Veines ouvertes est devenu une référence pour différents courants de gauche, notamment altermondialiste, qui y voyait une démonstration implacable des effets désastreux du capitalisme. Quarante ans plus tard Galeano qualifiera lui-même cette œuvre d’ “imbuvable”, refusant de relire ce qu’il considérait avec du recul comme une œuvre de jeunesse gauchiste maladroite. Ce n’est pas sans humour qu’il a commenté l’épisode du président vénézuélien offrant le livre au président états-unien : “Ni Chavez ni Obama ne comprendraient ce texte […] Chavez le lui a offert avec les meilleures intentions, mais dans une langue qu’il ne connaît pas. Ce fut certes un geste généreux, mais un peu cruel.”
L’écrivain occupe une position paradoxale dans l’univers intellectuel. Certains lui reprochent son style parfois simpliste voire manichéen, mettant d’un côté les opprimés et de l’autre les oppresseurs, rejetant toujours la faute sur ces derniers. Mais certaines de ses formules sont restées célèbres et beaucoup n’hésitent pas à le considérer comme Pablo Neruda ou Mario Benedetti. C’est avec ce dernier qu’il participera à la création d’un journal, La Brecha, en 1985. L’influence de son œuvre s’étend au-delà du monde intellectuel ou politique. René Pérez, chanteur du groupe portoricain très populaire Calle 13 et grand admirateur de Galeano, l’avait invité sur le titre d’introduction de son album “Multiviral”. Reconnu pour son charisme et sa sympathie, l’écrivain affectionnait particulièrement les cafés de Montevideo pour travailler. L’ex-président José Mujica, lui aussi reconnu pour son contact facile, a pour sa part rendu hommage à un écrivain “qui pendant ces quarante dernières années nous a rendu dignes en Amérique latine”, soulignant la rareté des universitaires autodidactes s’étant penchés sur la culture populaire et dont “la pensée s’est affinée avec le temps”. Malgré les opinions divergentes sur son style et sur sa pensée, Eduardo Galeano demeure une figure incontournable de son temps.
Laurène LE GALL