Auteur d’essais sur la politique mexicaine et de quelques romans, dont le dernier, Milena, o el fémur más bello del mundo a obtenu le prix Planeta l’an dernier, Jorge Zepeda Patterson est publié pour la première fois en France aux éditions Actes Sud, avec Les corrupteurs, thriller politique dans lequel il fait partager ses connaissances et ses sentiments sur les dernières décennies du pouvoir mexicain.
Ils sont quatre, Tomás, un journaliste, Amelia, une dirigeante de l’opposition, Mario, professeur d’université et Jaime, ex-haut fonctionnaire du Ministère de l’Intérieur, dont le père, Carlos Lemus, avec lequel il est brouillé, joue lui aussi un rôle de premier plan. Ceux qui se sont eux-mêmes donné le nom de Bleus à cause de la couleur des cahiers qu’ils utilisaient, préadolescents, se sont longuement fréquentés, ont grandi ensemble, dans un milieu protégé, ils ont connu quelques rivalités feutrées, se sont temporairement éloignés les uns des autres. Ils se retrouvent véritablement à cause d’un faux pas de Tomás qui lâche un peu trop vite une information qui se révèle très explosive. Une ex-actrice, qui a été la maîtresse officielle d’un ministre, est retrouvée assassinée, sa mort brutale peut compromettre dangereusement le dirigeant. Les Bleus se réunissent à nouveau, impliqués plus ou moins directement dans le fait divers.
Le roman est parfaitement documenté et plonge au cœur des rouages compliqués et souvent douteux du pouvoir mexicain. Il faut pourtant s’intéresser de près à la vie politique au Mexique pour adhérer tout à fait à ces 360 pages d’enquête politico-judiciaire. “Tous pourris”, comme on le dit souvent ? Oui et non, curieusement : on voit clairement le degré de connivence entre politiques et journalistes, par exemple, qui pourrait soit accentuer, soit nuancer cette mauvaise impression. Cela semble être le projet de l’auteur, mais paradoxalement, si c’est bien le cas, cela ne fait que la renforcer : la rencontre secrète entre le ministre et le journaliste à l’origine des fuites ne peut que mettre mal à l’aise le lecteur ou le citoyen moyen que nous sommes : décidément ce monde n’est pas le nôtre, il est intéressant de le voir évoluer, comme si on était de l’autre côté de la paroi d’un aquarium, en n’ayant pas la moindre envie d’y tremper un doigt !
On peut imaginer aussi les allusions plus ou moins masquées à la réalité mexicaine, les clins d’œil, les private jokes qui doivent pour certaines nous échapper : curieux, le nom d’un des personnages, ce Carlos Lemus, si on se rappelle que la première épouse de Carlos Fuentes, l’écrivain, s’appelait Silvia Lemus ! On n’en saura pas plus. La “morale” finale laisse également planer le doute : est-il si grave de tuer une actrice pour préserver la paix toute relative d’un pays ? Oui, bien sûr, elle existe, la “Raison d’État”, mais les personnages étant tous renvoyés dos à dos, le lecteur pourra-t-il se faire une opinion ?
Christian ROINAT