Evo Morales et Michelle Bachelet, présidents de Bolivie et du Chili, devaient se croiser le 10 avril 2015 à Panama. Le même jour ils allaient en effet retrouver la quasi-totalité de leurs homologues américains réunis en sommet extraordinaire de l’OEA (Organisation des États Américains). En principe pour parler prospérité partagée. Dans le même sommet Barak Obama et Raúl Castro devrait réaliser une photo historique.
C’est du moins ce que prévoyait la feuille de route de ce septième sommet des Amériques. Mais chacun vient dans ces forums avec des préoccupations particulières. Les Argentins par exemple voulaient une résolution sur le contentieux des Malouines qui les oppose au Royaume-Uni depuis 1833. Le Venezuela entendait parler de ses problèmes avec les États-Unis. Tout cela n’est pas nouveau. En 1830, déjà, le libérateur Simon Bolivar comparait l’intégration continentale au labour stérile de la mer.
La mer c’est justement la priorité des priorités pour les Boliviens. Mais ils l’ont rappelé sans que Michelle Bachelet puisse les écouter. Elle a déclaré forfait au dernier moment. Les pluies torrentielles qui ont dévasté le nord du Chili l’ont retenue au pays. Heraldo Muñoz son ministre des affaires étrangères a donc eu le privilège d’affronter seul le coup de mer bolivien. La mer. La Bolivie en est privée depuis 1883. Cette année-là le Chili vainqueur d’un conflit qui l’a opposé à ses voisins bolivien et péruvien, a imposé la loi du vainqueur. Lima et La Paz militairement défaits sont passés sous les fourches caudines imposées par Santiago. Les provinces méridionales péruviennes de Tacna et Arica ont été annexées. La Bolivie a perdu 120 kilomètres de façade maritime. La Bolivie qui n’a plus de sortie sur l’Océan Pacifique est totalement enclavée.
Les deux pays ont quelques années plus tard signé des traités sanctionnant juridiquement cet état de fait. La Bolivie l’a fait en 1904 et le Pérou en 1929. La Bolivie n’a jamais accepté sa “méditerranéité”. Elle conteste la validité du traité et demande à en renégocier les termes. La revendication bolivienne jamais éteinte a durablement perturbé la relation bilatérale. Les deux pays n’ont pas d’ambassadeurs dans leurs capitales respectives, mais des consuls généraux. La Bolivie refuse de vendre son gaz au Chili, contraint d’importer son combustible… par voie maritime. De temps à autre un dialogue est ouvert. Les dictateurs Pinochet et Banzer avaient semblait-il trouvé en 1978 une solution mutuellement acceptable. Elle supposait la cession souveraine d’un port relié à la Bolivie par un couloir ferroviaire le long de la frontière du Chili avec le Pérou. La Bolivie en compensation accordait un espace de superficie équivalente. Le Pérou, faisant jouer une clause du traité signé en 1929 avec le Chili s’y est opposé.
Depuis rien pratiquement n’a bougé. Le Chili et sa population sont opposés à toute cession territoriale. La Bolivie exige toujours la restitution de tout ou partie de son droit à la mer. La Paz a rappelé cette exigence dans tous les forums internationaux, ALBA, Groupe des 77, OEA, ONU, UNASUR. Le Chili refuse cette “internationalisation du différend”. Il propose en revanche la reprise d’un dialogue. Ricardo Lagos, chef de l’État chilien, s’était rendu à La Paz pour essayer de négocier une entente économique. La proposition avait été jugée inappropriée par la Bolivie. Pour sortir de cette impasse la Bolivie a saisi en 2013 la Cour de justice internationale. Sa plainte a été jugée recevable. Les deux parties vont présenter leur point de vue devant le tribunal de La Haye les premiers jours de mai 2015. L’ancien président Carlos Mesa, a été chargé de présenter à la communauté internationale les raisons de la Bolivie. Un livre bleu a été publié en 2014. Il a été réactualisé en 2015.
Les esprits se sont échauffés à l’approche de la mise en marche de la procédure contradictoire. Victime de graves inondations dans le nord du pays en mars 2015, le Chili a fait appel à l’aide internationale. La Bolivie a proposé ses services. 13 000 litres d’eau potable bolivienne ont été proposés au Chili qui les a acceptés. Curieusement c’est le ministre bolivien de la défense, Jorge Ledezma, qui a été chargé de procéder à la livraison du précieux liquide. Jorge Ledezma a provoqué le 30 mars un grave incident diplomatique. Il arborait en effet en terre chilienne un blouson décoré d’une légende signalant de façon lisible que “la mer est bolivienne”. Heraldo Muñoz, ministre des affaires étrangères chilien a immédiatement signalé “qu’il remerciait l’aide solidaire venue de Bolivie”. Mais, a-t-il ajouté, “la tragédie et la douleur de la catastrophe survenue au nord du pays ne doivent pas être utilisées à des fins politiques au service de la politique de communication bolivienne”. Élus chiliens de droite et de gauche ont vivement protesté, contre cette aide qualifiée par le député de droite, José Manuel Edwards, de “baiser de Judas”.
Jorge Ledezma ne rencontrera pas Heraldo Muñoz à Panama. Il a été destitué sur le champ par le président Morales. “Nous regrettons l’incident”, a déclaré le premier mandataire bolivien. Qui a ajouté vouloir présenter ses excuses au peuple chilien. La Bolivie, a-t-il conclu, “n’a jamais voulu mêler politique et aide humanitaire”. Mais à Panamá, la solidarité n’était plus à l’ordre du jour. La Bolivie a rappelé, devant 34 délégations venues des Amériques une nouvelle fois le caractère incontournable et permanent de sa demande d’un droit à la mer.
Jean-Jacques KOURLIANDSKY