Nous avons suivi de près deux festivals incontournables consacrés au cinéma latino-américain en France et qui ont continué à remplir les salles par des spectateurs de plus en plus nombreux et exigeants : les Reflets de Villeurbanne et Cinelatino à Toulouse.
Les Reflets du cinéma ibérique et latino-américain, qui se sont déroulés du 11 au 25 mars, ont pulvérisé leur fréquentation. Il faut dire que la programmation était très riche et variée. Pour la première fois les Reflets ont proposé un prix du public (2 000 euros offert par CIC Iberbanco) constitué de neuf films inédits, et c’est logiquement que le prix a été décerné à Conducta (Comportement) d’Ernesto Daranas (Cuba). Ce très beau film qui suit un jeune garçon Chala, dont la mère est alcoolique et prostituée, survit en élevant des chiens de combat. Ce serait un délinquant sans l’affection d’une vieille institutrice de l’école et l’aide d’une élève de sa classe. On voit ainsi comment la valeur la plus âprement défendue à Cuba – la famille – ne peut rien contre les ravages de la marginalisation économique et de l’exposition aux fléaux qui la menacent directement, comme la drogue. Ce film sombre n’en est pas moins un hommage aux Cubains malgré la misère et la rigidité sociale de l’administration du pays. Toujours sur l’adolescence, il faut citer le film colombien de María Gamboa, où Mateo, qui rackette les commerçants pour son oncle, mafioso local, découvre grâce à un atelier de théâtre autre chose que la violence et le crime. Ce film sélectionné dans de nombreux festivals ne trouve toujours pas de distributeur en France. Il faudrait citer encore le beau film vénézuélien El regreso (Le retour) de Patricia Ortega sur une jeune wayuu qui, pour échapper à un massacre doit apprendre à survivre à Maracaibo, dans un univers complètement inconnu. Du côté de l’Espagne, nous avons pu voir Marshland (La isla mínima) d’Alberto Rodríguez, grand vainqueur des Goya 2015, aux images magnifiques, et Vivir es fácil con los ojos cerrados, le beau film de David Trueba, vainqueur des Goya l’an passé qui raconte l’histoire d’un professeur d’anglais qui cherche à rencontrer John Lennon en tournage à Almería. Ainsi près d’un tiers des films présentés à Villeurbanne sont traversés par le regard de l’enfance, l’illusion ou la désillusion des adolescents.
Cinelatino de Toulouse fait le même constat et proposait tout un cycle de près de 40 films sur l’âge des possibles en trois chapitres : le temps des risques, l’âge des explorations et l’âge des convictions. Pour approfondir l’analyse, il faut lire le numéro 23 de la revue Cinéma d’Amérique Latine, éditée par le Festival et les Presses Universitaires du Mirail qui réalise un état des lieux de l’adolescence dans le cinéma latino et en explore différentes facettes à travers l’étude de nombreux films.
Samedi 28 mars, à la cérémonie de clôture, avant la projection du Bouton de nacre de Patricio Guzmán, furent révélés les prix de la compétition long métrage. Le jury a choisi le film brésilien Ausência (Absence) de Chico Teixeira [Photo], portrait d’un adolescent de 14 ans Serginho qui doit affronter seul des responsabilités d’adulte. Il cherche à combler ses carences dans la figure de son professeur. Le film avait été aidé dans le cadre de Cinéma en construction. Pour son prix, le public a choisi l’Ours d’argent de la dernière Berlinade, Ixcanul (Volcan), du Guatémaltèque Jayro Bustamente. María, jeune maya de 17 ans vit avec sa famille au pied d’un volcan. Elle espère découvrir les États-Unis avec un jeune ramasseur de café qui l’engrosse. Faisant une fausse couche, elle découvrira la ville, l’hôpital et l’exploitation de sa condition de femme cakchiquel. Très bien réalisé avec une belle photo et surtout beaucoup de sensibilité, le film a reçu aussi le prix de la Critique française. Lui aussi fait partie du programme Cinéma en Construction. Nous publierons un entretien avec le réalisateur dans le prochain numéro de la revue Espaces Latinos.
Le prix du court métrage est allé à un film mexico-colombien noir (mais très drôle), Niño de metal de Pedro García-Mejía sur la difficulté d’être père quand on tient un stand de tee-shirt de musique metal.
Enfin le prix du documentaire est allé à Tudo vai ficar da cor que voce quiser (Tout sera de la couleur que tu préfères) de la Brésilienne Letícia Simões sur un poète, peintre et musicien, Rodrigo de Souza Leão, décédé en 2009. Artiste total et schizophrène, Rodrigo a laissé une œuvre colorée et éclectique. La réalisatrice essaie d’utiliser une image vidéo primitive pour donner une forme visuelle à ses poèmes.
A côté des projections, avaient lieu les rencontres Cinéma en construction. Parmi 190 longs métrages de 17 pays, sept films en cours de finition furent présentés à un public professionnel pour recevoir un complément d’aide, trouver un coproducteur ou un distributeur, comme cela avait été le cas pour Ixcanul et pour Ausência l’an passé. Cette année, Eva no duerme du réalisateur argentin Pablo Agüero, et Desde allá du Vénézuélien Lorenzo Vigas, recevront une aide importante.
La visite à ces deux festivals montre la vitalité du jeune cinéma latino-américain. Espérons qu’ils ne resteront pas seulement des films de festival, mais auront une diffusion méritée sur nos écrans.
Alain LIATARD