Il y a quelques années, nous avons reçu, à Belles Latinas, Pino Cacucci, journaliste et romancier italien amoureux du Mexique où il vit une partie de l’année et dont il donne une image proche et distanciée, idéale pour un Européen qui voudrait sinon comprendre du moins se faire une idée juste d’un pays aussi complexe. La démarche de Francisco Goldman est assez semblable, il n’est pas étonnant que tous deux soient publiés dans la même maison, chez Christian Bourgois. Francisco Goldman connaissait déjà bien Mexico avant de s’y installer en 2012 pour une longue période, lui qui est naturellement un nomade. Il y a déjà fait un séjour au début de notre siècle, s’y était marié et avait subi le drame de la mort brutale de sa jeune épouse. Ce nouveau séjour, à ses yeux, devrait lui réapprendre à vivre sans Aura.
Il raconte donc, très simplement, cette nouvelle vie, les contraintes très matérielles, telles que se loger dans une ville tentaculaire où tout le monde se perd, discuter longuement avec les amis d’hier, ceux qui ont connu Aura et ceux avec lesquels on vient tout juste d’entamer une relation, observer les évolutions politiques (Francisco Goldman est aussi journaliste et ne l’oublie pas). Il fait alterner de véritables reportages, très vivants, comme celui sur le mouvement estudiantin autour des élections de 2012, de savoureux passages qui décrivent le difficile apprentissage de la conduite dans le D.F. et d’autres plus poignants sur l’absence définitive de l’aimée. Un long passage sur les rapports avec la mort est particulièrement intéressant, sujet inépuisable que Francisco Goldman domine probablement aussi bien grâce à la distance que lui donne son statut de semi-étranger : bien sûr (et heureusement) les questions fondamentales demeurent, mais qui ne connaît pas ou connaît mal le Mexique avancera grandement dans sa compréhension. Les Mexicains sont-ils plus à l’aise face à la mort que la plupart des peuples ? Nous ne le saurons pas !
Faits divers, événements politiques, regard curieux sur une ville monstrueuse et magnifique, tout ce qui fait la vie est là. Ce qui fait la vie, c’est aussi pour l’auteur le retour vers une vie, différente de celle qui a précédé, qui lui avait apporté un bonheur inconnu jusque-là, mais une vie qui sans remplacer l’autre, peut aussi le faire sortir de la descente vers le désespoir qui l’a dominé plusieurs années. On est au Mexique, et il n’ignore pas non plus l’importance du fait religieux (on peut difficilement parler de religions, tant il y a de libertés prises avec la notion même de religion), par exemple un passage extrêmement intéressant sur la Santa Muerte, où tout est lié : religiosité et crimes, ceux des voyous, des narcos, des policiers, on ne sait plus distinguer en écoutant la prêtresse et ses messages moraux, le tout dans des odeurs de marijuana qui domine la cérémonie.
Un lecteur désireux de découvrir la complexité de Mexico pourra éventuellement omettre la deuxième partie (L’After Heavens), longue enquête journalistique probablement un peu trop détaillée et donc trop longue sur la disparition d’un groupe de jeunes gens au moment où ils sortaient d’une boîte de nuit, enquête qui toutefois qui s’intéresse à l’actualité, à la sociologie et à la politique, d’autant plus qu’un post scriptum daté du 31 décembre 2014 revient sur la disparition des étudiants d’Iguala et nous ramène à l’actualité la plus proche (Bravo aux éditions Bourgois pour leur réactivité !). Mais le lecteur plus neutre ne pourra sûrement pas se passer des 200 premières pages du livre, qui parviennent à rendre les sensations et les sentiments forcément contradictoires sur cette ville et ses habitants, évitant toute forme de caricature, de simplification : en additionnant les idées que propose Francisco Goldman avec des scènes glanées dans un parc, sur une place, au cours d’une réception, le mélange est réussi : il reste des images qui, en s’assemblant, forment un tableau contrasté, à l’image de Mexico.
Et enfin les familiers de Belles Latinas seront aussi heureux de croiser quelques-uns de nos invités, Sergio González Rodríguez, Elena Poniatowska, Fabricio Mejía Madrid ou Yuri Herrera, qui sera avec nous en septembre…
Christian ROINAT