Cette année, le Brésil est à l’honneur : n’oublions pas son cinéma ! Le long-métrage des Brésiliens Cao Guimarães et Marcelo Gomes, superbe déambulation de deux âmes à la recherche d’un corps, sera projeté en avant-première au cinéma le Zola durant les 31e Reflets du cinéma ibérique et latino-américain et à la cinémathèque française de Paris dans le cadre du cycle “Brasil ! Une histoire du cinéma brésilien” .
Dans l’immensité de Belo Horizonte, mégapole grouillante et tentaculaire, Juvenal erre comme s’il cherchait à disparaître. Margo, elle, ne parvient à appréhender le monde qu’à travers la virtualité des écrans. Ils se connaissent à peine mais elle lui demande d’être le témoin de son mariage. Un long-métrage d’une grande beauté visuelle, librement adapté d’une nouvelle d’Edgar Allan Poe et réalisé par Cao Guimarães et Marcelo Gomes.
Protégé derrière une vitre, un homme observe une foule indistincte, bruyante, des corps flous qui se meuvent dans la rue. Il vit seul, mange seul, vagabonde seul dans Belo Horizonte. D’ailleurs, chez lui, il n’y a qu’un verre. Juvenal aime se fondre dans la masse, se perdre dans le paysage urbain d’une des plus grandes villes du Brésil. À l’image de son regard, il est fuyant, il ne s’attache à rien. Et quand il croit s’échapper, il revient toujours à son point de départ : Juvenal est conducteur de métro, prisonnier de la ville. Et puis parfois, il se prend à rêver de conduire le TGV et se laisse contaminer par le rire communicatif d’un inconnu. Format carré figurant le cloître, petits personnages perdus dans l’impressionnante géométrie des plans, lumières de la ville qui ressemblent à des lucioles…
Cao Guimarães et Marcelo Gomes se penchent avec pudeur sur la question de la solitude dans nos sociétés modernes industrialisées. Comment s’extraire de la foule, ce courant perpétuel, “épais et continu”, pour reprendre les mots de Poe ? La main tendue viendra peut-être de Margo, sa collègue bavarde mais non moins solitaire : son temps libre, elle le passe à nourrir son poisson rouge virtuel, à voyager sur la lune sans sortir de chez elle, à tchatter avec son futur mari rencontré sur internet. “Un être humain, tu vois, c’est compliqué” confie-t-elle à Juvenal. Si chez Poe, “le crime” de l’homme moderne était de ne jeter qu’un regard vide sur le monde, dans L’homme des foules de Guimarães et Gomes, les regards de Juvenal et Margo, eux, finiront par se solidariser, se “ré-humaniser” ― pour ne pas disparaître tout à fait.
Margot NGUYEN