Il y a mille manières de se dépayser en littérature : changer d’époque et attaquer un bon vieux Zola, changer d’endroit et se lancer dans un Mankell nordique et potentiellement dépressif, changer d’atmosphère et se laisser enivrer par le dernier Murakami. Mais depuis le 6 février, date de la sortie en France de Avaler du sable, du jeune Brésilien Antônio Xerxenesky, on peut avoir tout cela, et encore bien plus en moins de deux cents pages ! Il est un des auteurs invités au 14e festival littéraire Belles Latinas de novembre prochain.
Un Far-West de studio cinématographique, probablement vers la fin du XIXe siècle, sert de décor principal à ce roman foisonnant et dépouillé, tragique et drôle, rédigé sur une vieille machine à écrire par un romancier qui est un personnage imaginé par un romancier dont l’ordinateur a tendance à bugger. On est à Mavrak, petite bourgade du Far West qui possède son saloon, avec son tricheur au poker, que ses « victimes » expulsent par une fenêtre dès les premières pages, deux familles qui s’affrontent depuis des générations et un shérif pas très normal. La preuve ? il ne boit que de l’eau et les femmes légères du saloon ont tendance à l’effrayer ! N’oublions pas l’auteur du texte, qui fait de brèves incursions dans son récit. Et puis dans ce décor typique, on a aussi un petit Roméo et Juliette local et sensuel et enfin, survolant cette île au cœur du désert, il y a la peur, universelle et traîtresse, qui est en chacun et qui la plupart du temps se confond avec la culpabilité.
Antônio Xerxenesky joue avec une maîtrise étonnante si on pense qu’il avait moins de trente ans quand il écrivait cela, avec les codes, les clichés littéraires ou cinématographiques qu’il utilise pour mieux les détourner, dont il se moque pour leur donner plus de profondeur : on ne sait plus vraiment si le fauteuil dans lequel on se trouve est celui du salon familial ou celui de notre cinéma habituel, on (re)découvre un décor connu et même familier, on s’installe tranquillement dans une routine qui très vite vole en éclats.
Antônio Xerxenesky joue aussi, et de façon très subtile, avec le sable du titre, celui du désert sur lequel Mavrak est bâtie, qui prend au long du roman une foule de formes : il change de texture et de couleur en fonction des sentiments des personnages, jusqu’à grincer entre leurs dents dans les moments de souffrance, il est utile quand il est sablier, prend une terrible réalité quand un jeune homme pense soudain qu’un jour, peut-être prochain, sa dépouille s’y retrouvera pour l’éternité… ou pour quelques années, puisqu’on voit aussi des morts se relever et envahir Mavrak pour transformer la bourgade en champ d’horreurs.
Il faut vraiment découvrir d’urgence ce roman qui surprend à chaque chapitre, découvrir aussi ce jeune écrivain plus que prometteur dont le deuxième roman vient de sortir au Brésil.
Christian ROINAT