Quel plaisir de retrouver Alfredo Bryce Echenique. Après une période d’énorme productivité, dans les années 70 et 80, il s’était fait plus rare, continuant à publier, mais de façon plus discrète. Nous le retrouvons tel que nous l’avons toujours aimé, émouvant et drôle, superficiel et profond.
Voici une « grande » famille péruvienne, le patriarche centenaire, ses héritiers et héritières. On n’est pas vraiment dans notre quotidien. Celui de la famille De Ontañeta est nettement au-dessus de ce que nous, modestes mortels, pouvons connaître. Ils ont tout, argent, pouvoir, prestige, ce qui permet de se débarrasser de scrupules finalement inutiles pour pouvoir vivre correctement. Ainsi, que faire par exemple pour éloigner des cousins devenus gênants ? En toute simplicité, organiser une campagne de presse qui les vise indirectement, en utilisant ses propres journaux et en priant la concurrence d’en faire autant. Mais, comme cela risque de ne pas suffire (le bas peuple manque parfois de confiance dans la chose imprimée, où diable vont-ils chercher de telles idées ?), on peut également prier l’archevêque d’axer le sermon du prochain dimanche sur les activités des malheureux cousins et faire que toutes les portes se ferment devant eux, leur ôtant toute chance de vivoter.
Comme dans les meilleures œuvres d’Alfredo Bryce Echenique, on navigue entre l’horrible et le comique, dans une ambiance donc atrocement divertissante, dans laquelle ressort tout de même le comique. Chez les De Ontañeta on aime, on jalouse, on promeut et on met sur la touche, puisqu’on est puissant, à l’occasion on anticipe de quelques dizaines d’années un décès qui de toute manière aurait bien fini par se produire un jour.
Le narrateur, souverain et détaché, n’oublie jamais l’excellente éducation reçue dans un tel milieu (lui aussi en fait partie, comme l’auteur, d’ailleurs !), pour décrire et commenter les petitesses de la nature humaine. Et il est en forme, notre Bryce, aussi percutant que dans ses meilleures années, aussi désabusé aussi, sans parvenir à être vraiment pessimiste. Cet humour, du reste, n’empêche à aucun moment une certaine émotion qui naît de ce qui fait le point commun à toute son œuvre : la faiblesse irrémédiable de la condition humaine. On peut rire de ses innombrables ridicules, on peut s’apitoyer, à chacun de voir.
Une infinie tristesse, qui raconte donc la dégradation, lente et au fond toute relative si l’on n’oublie pas la réalité péruvienne, d’une famille et de ses principaux membres, laisse une impression nostalgique, un vague sourire, et on a envie de dire un grand merci à son auteur.
Christian ROINAT