Le Sénat chilien vient de voter (de justesse) la fin du système électoral bi-nominal inventé par les juristes de Pinochet en 1980 et toujours en vigueur jusqu’à aujourd’hui. 25 ans après la fin de la dictature, c’est un pan important de la législation pinochétiste qui tombe.
En 1980, conscient que le contrôle politique dictatorial ne durerait pas éternellement, le général Pinochet abroge la Constitution de 1925, fait adopter une nouvelle Constitution configurée pour instaurer à jamais le système néolibéral dans l’économique et modifie les lois pour instaurer un système électoral dit bi-nominal dans le politique. À l’annonce du plébiscite du 5 octobre 1988 devant décider de la poursuite ‘SI’ ou ‘NO’ du régime militaire, Pinochet autorise la formation d’un parti politique qui soutiendrait la position du SI : c’est la naissance fin 1987 du parti Rénovation nationale (RN) composé de membres de divers mouvements proches du dictateur dont la UDI, Union démocrate indépendante de Jaime Guzmán, idéologue de Pinochet. Peu après, les partis traditionnels sont également ré-autorisés.
La victoire du ‘NO à Pinochet’ fait comprendre au régime que sa fin est proche puisque de par sa propre Constitution, la défaite du SI l’oblige à organiser des élections l’année suivante, en décembre 1989. Pinochet, sentant le vent tourner, s’affaire à préparer l’après dictature, d’autant plus que la droite pinochétiste se déchire ce qui provoque une scission entre RN et la UDI. Or les lois de 1986 et 87 ne permettent pas de coalition. Pinochet fait de toute urgence modifier les lois de manière à autoriser les coalitions pour que RN et UDI s’unissent pour le soutenir. Cette coalition, toujours en cours, porte aujourd’hui le nom d’Alianza. Mais ce système permet aux anti-pinochétistes d’également former une coalition qui comprendra jusqu’à 17 partis et mouvements : la Concertación, qui gagnera les élections de 1989, mettant ainsi fin à 17 ans de dictature.
Qu’est-ce que le système bi-nominal de Pinochet ?
Le pays est divisé en circonscriptions et en districts, les premières élisant deux sénateurs, les seconds, deux députés. Cette procédure oblige les partis à s’unir en coalitions ce qui permet d’éliminer les petits et moyens partis et favorise nettement les gros partis ou les grandes coalitions. Pour donner le maximum de chances à sa droite (RN et UDI) qu’il sait en mauvaise posture pour les élections de décembre 1989, Pinochet modifie les règles : pour qu’une des coalitions puisse placer ses deux candidats, il faut que le total de ses votes dépasse le double du total des votes de l’autre coalition. Ceci est presque impossible mais permet qu’une coalition avec 33 % des voix possède autant de représentants que l’autre coalition avec 66% des voix. Ceci favorise évidemment la droite, ce qui était bien le but du jeu. Un exemple réel : dans la circonscription de Santiago ouest, les deux candidats de la Concertation obtiennent 31 et 30 % des voix alors que les deux candidats de l’Alliance obtiennent 17 et 15 %. Mais 61 % (30 + 31) ne font pas le double de 32 % (17 + 15). Bien que le second candidat de la Concertation ait gagné 180.000 voix de plus que son opposant, c’est celui-ci qui fut élu au poste ! (1)
Un Congrès complètement modifié
Cette situation où Concertation et Alliance obtenaient presque la même quantité de sièges au Sénat et à la Chambre des députés empêchait toute modification du système puisque les quotas nécessaires pour modifier ces lois n’étaient jamais atteints. Mais coup de théâtre ce 14 janvier 2014 : deux sénateurs de centre droite, d’ordinaire votant avec l’Alliance, votent cette fois pour le projet de loi de modification, ce qui permet d’obtenir le quota nécessaire de 23 votes. Dans le même élan, les sénateurs ont augmenté le nombre de sénateurs de 38 à 50 et celui des députés de 120 à 155, de manière à mieux répartir les représentativités. Autre nouveauté, la loi des quotas : pour favoriser la participation des femmes, le total hommes ou femmes candidat(e)s par parti ou par coalition ne peut dépasser 60 %.
Le projet de loi doit maintenant passer une dernière fois devant la Chambre des députés mais on estime que ce ne sera qu’une formalité, la Concertation y étant enfin majoritaire. La Constitution de Pinochet est l’objet de modifications depuis 1992. De nombreux Chiliens demandent aujourd’hui à ce qu’une Assemblée Constituante soit mise en place pour remplacer une Constitution imposée par la dictature par une Constitution rédigée démocratiquement. La présidente Michelle Bachelet avait mis ce point dans son programme de gouvernement.
Jac FORTON