Le monde entier se souvient de ces trente-trois mineurs chiliens piégés en 2010 par un effondrement à 700 mètres de profondeur, de leur localisation au bout de près de trois semaines et de leur sortie, après soixante-neuf jours passés dans les galeries… Pour préparer un film, qui doit sortir le printemps prochain, le romancier et journaliste Héctor Tobar a mené une vaste enquête auprès des trente-trois rescapés et nous offre, avec ce livre, un récit complet et émouvant de ce qui s’est réellement passé.
Tout est dit dans ce reportage écrit par un journaliste qui est aussi romancier, et nord-américain : il utilise parfaitement les techniques, parfois horripilantes du journalisme états-unien quand elles deviennent des trucs, des recettes artificielles, ce qui n’est jamais le cas ici.
Dès le prologue, il se garde de tomber dans la caricature lorsqu’il souligne, sans aucun excès, les manques qui vont se révéler criminels, des propriétaires privés de la mine de Copiapó : les échelles de secours à fixer dans les cheminées d’aération sont trop chères ? On remet à plus tard leur installation, qui ne se fera jamais. Quand ce n’est pas l’entreprise qui est en faute ce sont des négligences purement humaines : depuis un certain temps la montagne où se loge cette gigantesque mine « réagit » plus que d’habitude, par de petits effondrements, par des grondements sourds ? Le responsable du secteur s’en rend compte mais ne juge pas nécessaire de le signaler, inconscient de mettre sa propre vie en danger.
Puis, dans le récit du drame, Héctor Tobar trouve le ton juste, parfois (rarement) épopée, le plus souvent à hauteur d’homme : il réussit parfaitement à faire du lecteur un familier de ces mineurs, si différents les uns des autres, qui, dans ces circonstances, parviennent à être par moments un groupe soudé. Quelques détails, particulièrement bien choisis, de la biographie de chacun d’eux, donnent l’impression de le connaître. Il laisse de côté l’aspect épique, j’allais dire « américain », effectivement hors de propos dans ce cas, pour n’offrir que l’humanité de ces hommes enfermés si longtemps dans l’obscurité, pas totale, mais éprouvante. C’est ça, la vraie version de l’histoire, est-il dit quelque part, il n’y avait pas de héros dans la mine.
Au bout de dix-huit jours, enfin le contact est établi. On se souvient sûrement de ce que chacun de nous a ressenti, devant l’écran de la télévision qui, au jour le jour nous parlait de ces prisonniers de la mine : compassion, impatience. Héctor Tobar réussit non seulement à montrer l’autre côté, le fond, ce qu’ils vivaient vraiment et que nous étions incapables d’imaginer, mais à faire partager leur angoisse, leur énervement devant la lenteur des secours, imposée par la nature elle-même. Le monde entier suit le travail des foreuses, à ce moment un sponsor leur promet une fortune, leurs visages apparaissent chaque jour sur toutes les télévisions du monde, cela ne manque pas de provoquer des désordres chez certains, dans la mine et en dehors, dans les familles officielles ou clandestines. Pendant le sauvetage, leur « expérience » provoque aussi une formidable vague d’union de tout un pays : ces trente-trois comprennent au fond de leur puits qu’ils symbolisent les valeurs d’un peuple tout entier : courage, fraternité, dignité.
Et, après la sortie, chaque mineur redevient un individu, en une soixantaine de pages l’auteur prolonge son enquête et permet au lecteur de retrouver, quelques mois ou quelques années après la fin du drame, où en sont quelques uns des trente-trois, épilogue mi-amer, mi-optimiste, ce qui est bien le ton général du livre tout entier. Le film tiré de ce livre, avec ses producteurs nord-américains, ses vedettes internationales, parviendra-t-il à faire partager la même émotion que ce superbe livre ? On attendra pour voir.
Christian ROINAT