Laurent Cantet, le réalisateur de Entre les murs, Palme d’or à Cannes en 2008, a réalisé un film inattendu sur Cuba, en espagnol, avec des acteurs autochtones : « Retour à Ithaque », actuellement sur les écrans français.
Il s’agit de l’adaptation d’un roman de l’écrivain cubain Leonardo Padura (Le Palmier et l’Étoile, éd. Métailié). Le film emprunte aux codes du théâtre : un huis clos à ciel ouvert sur une terrasse surplombant le Malecón de la Havane, sans ruptures de temps, ni de lieu. Une bande d’amis sexagénaires s’y retrouvent à l’occasion du retour d’un des leurs, Amadeo : Tania, l’ophtalmologiste abandonnée par ses enfants partis à l’étranger, Rafa, un peintre séché dans son inspiration, Aldo, un ingénieur recyclé dans la récupération de batteries usagées, Eddy, l’homme d’affaires qui s’est arrangé avec le système pour « bien vivre ». Le retour de l’ami Amadeo, écrivain exilé en Espagne, se fait dans son île natale après 16 ans de précarité, d’errances et de difficultés à écrire.
Retour et souffrances définissent ce que l’on appelle la nostalgie selon l’étymologie grecque. Elle fait revenir Amadeo à Cuba. Mais ici, elle habite aussi ceux qui y sont restés. Entre mille tracas exposés, on tente de cerner de quoi est faite cette nostalgie, dans ses composantes intimes et politiques. Chaque langue et chaque culture a ses mots pour la dire dans une palette sémantique pleine de nuances. Ici, dans le confinement de la terrasse, s’entrechoquent les histoires et l’Histoire telle qu’elles font les vies, les pauvres vies et les vies pauvres.
La possibilité de quitter l’île de Cuba, désormais sans risques, a transformé la nature de la nostalgie. On parle sans cesse dans ce film de l’inspiration créatrice et des occasions perdues. Ulysse / Amadeo est un écrivain entravé par la nostalgie. La terrasse se transforme en scène et déploie le théâtre des nostalgies, « le mal du pays » prend une dimension plus ample et devient, outre la douleur de son absence, ses maux, le désir de son passé, du premier amour, de l’amour déçu, de la « crédulité heureuse » disparue. Comme Ulysse, grand aventurier, les sexagénaires du film joué par de magnifiques artistes ont été les acteurs exaltés de la révolution cubaine et deviennent de grands nostalgiques. Reste l’amitié.
Maurice NAHORY