Norte est le premier roman traduit en France d’un romancier bolivien, Edmundo Paz Soldán né en 1967. Il est traducteur et enseignant dans une université nord-américaine. Il a déjà publié en espagnol une dizaine de romans et autant de recueils de nouvelles et obtenu plusieurs prix importants. Dans Norte, il nous parle non pas de son pays d’origine, mais du Mexique et des États-Unis et de la difficile adaptation des chicanos à certains moments du XXe siècle. Voilà une nouvelle voix hispano-américaine qu’il est grand temps de découvrir en France.
Trois récits, trois époques, trois angles différents, mais un sujet, l’exil et ses conséquences sur les personnes, qu’elles aient quitté volontairement ou non le pays où elles sont nées. Jesús est un tueur en série qui sévit entre 1984 et 1999. Martín Ramírez, à présent considéré comme un des artistes majeurs de l’art brut, a produit des œuvres tourmentées et obsessionnelles entre 1931 et 1963. Enfin, plus près de nous, Michelle, étudiante dans une université vit une passion chaotique avec Fabián, un de ses professeurs. Il faut ajouter que les deux premiers personnages ne sont pas nés de l’imagination du romancier, mais qu’ils ont bien existé, le tueur sous un autre nom.
Ce que nous montre Edmundo Paz Soldán, ce sont des êtres déséquilibrés et dont l’exil, voulu ou subi, accentue encore davantage le malaise. Sans vouloir à aucun moment jouer le rôle d’avocat, il décrit chez Jesús encore adolescent la montée irrépressible d’une violence irréfléchie dont l’origine est probablement son amour excessif pour sa sœur. Chez Martín, ce sont les ravages de la schizophrénie qui se traduisent par ces dessins que la critique finira par juger géniaux et chez Michelle et Fabián c’est l’impossibilité absolue de trouver une stabilité sentimentale, écartelés qu’ils sont entre leurs origines et ce que leur offre le pays d’adoption. Le déséquilibre de chacun d’eux ne peut en aucun cas trouver de remède dans ce pays, officiellement accueillant mais qui ne réussit pas à les accepter.
Cette description de personnes en souffrance nous conduit aux confins de la folie, avec les explosions de violence aveugle, sans limites de Jesús d’un côté, et aussi cette banale dépression que chaque lecteur peut partager avec Michelle. Edmundo Paz Soldán évoque de façon à la fois subtile et profonde le sort des exilés et leurs rapports si difficiles avec les « vrais » Américains, qui le sont peut-être depuis à peine une génération mais qui, eux, se sentent parfaitement intégrés.
On peut regretter le déséquilibre entre les trois récits, celui autour de Jesús ayant été privilégié, ce qui provoque une certaine impression d’inachevé pour les deux autres, mais l’unité du roman est réelle et les impressions qui naissent de cette lecture sont si fortes qu’on reste sous ce véritable choc que nous donne ce roman.
Christian ROINAT