Depuis son premier roman traduit en français, on apprécie l’Uruguayen Felipe Polleri pour son exploration du monde de la folie, vue de l’intérieur, et des questions que posent l’aliénation et la vie quotidienne. Dans Allemagne, Allemagne !, il reprend son thème favori pour cette fois le confronter à une folie plus générale, plus « historique » aussi, puisqu’une bonne partie du roman est une allusion au nazisme.
Le narrateur, qui change de nom, comme de personnalité, comme de chemise, a-t-on envie de dire, se prend à nouveau pour un écrivain qui n’est plus Baudelaire, comme dans le livre précédent, mais un Anglais, qui peut être Marlowe ou Shakespeare, selon les moments et l’humeur. Il nous fait pénétrer dans les méandres de ses doutes, puis nous entraîne à la fois dans un asile probablement uruguayen et dans une Allemagne des années nazies, dans laquelle on croise des noms connus, des peurs génétiques (à l’origine de la folie du personnage ?), la peur aussi de la Machine, qui déshumanise ce qui nous reste de vivant, et aussi un certain bonheur, notre narrateur n’est pas malheureux dans sa condition, il l’accepte et souvent même il la revendique. Confronté au monde extérieur, aux autres fous de l’asile, aux médecins, à ses fantasmes, il affirme qu’il est un être à part entière, et que peut-être il dispose de davantage de richesses que vous et moi.
Il ne faut bien sûr pas s’attendre à lire un récit, on est, comme dans les romans précédents, plongés dans les méandres de la psychologie chaotique de notre Parsifal Wagner (autre personnalité du héros), on se laisse noyer par ces mots déroutants, surprenants dans le meilleur sens du mot.
Christian ROINAT