Juan Pablo Villalobos avait séduit un large public avec son premier roman Dans le terrier du lapin blanc. Si nous vivions dans un endroit normal prolonge ce premier plaisir de manière un peu différente mais qui reste tout aussi gratifiant pour le lecteur.
Dans la famille, tous les enfants portent des noms tout droit sortis de la mythologie grecque, ce qui ne les empêche en aucune façon de se livrer à des luttes fratricides, avec violences, pour une quesadilla de plus ou d’employer les termes les plus quotidiens (bel euphémisme !) pour s’adresser les uns aux autres. Ils vivent dans le coin le moins reluisant d’une des villes les plus paumées du Mexique, sur la colline appelée la Foutaise.
Le problème le plus récurrent dans cette famille, c’est le nombre et la taille des quesadillas, base de l’alimentation familiale, qui devient ici le principe de la lutte pour la vie. La taille de ces galettes de maïs varie en fonction des fluctuations nationales et internationales de la monnaie mexicaine, trop souvent malmenée par des conditions mystérieuses, et leur nombre évolue en fonction du nombre de frères et de sœurs présents autour de la table… et de la force physique de chacun : non, il n’est pas vrai que les premiers soient les derniers, comme il est écrit, dans les textes sacrés. Sacrés ? Y a-t-il quelque chose de sacré dans ce roman ? Juan Pablo Villalobos ne respecte décidément rien, ni la religion, ni la famille, ni le patriotisme, ni la politique et encore moins les politiques. Il s’attaque, avec beaucoup d’humour, à tout ce qu’il n’est pas de bon goût d’attaquer.
On est pris dans des aventures délirantes mais qui ont toujours un rapport avec la réalité mexicaine, dans un univers légèrement décalé, la force du récit se trouve justement dans ce glissement d’un réalisme éprouvant vers des situations cocasses, avec cette vision plutôt cynique d’Oreste, le narrateur, un adolescent de 14 ans : par exemple, il est loin de vouloir « tuer le père », bien au contraire, il lui souhaite une longue existence dans un pays aussi pourri, la longévité sera son châtiment ! Et le roman se ferme sur un épilogue anarchisant du meilleur aloi, avec la destruction sous la forme d’un jeu de massacre virtuel des principaux Présidents mexicains des années 60 à 90, qui ne l’ont probablement pas volé. Volé, c’est bien, le mot.
Christian ROINAT