Début octobre dernier, le festival de Biarritz Amérique Latine, reconnu pour ses évènements cinématographiques, a été le théâtre de trois rencontres littéraires, dont deux autours du thème du Mexique, pays à l’honneur lors de cette 23e édition : l’écrivain français Patrick Deville est venu présenter son nouveau roman Viva. L’écrivain mexicain Alberto Ruy Sánchez a rendu un hommage à Octavio Paz à l’occasion du centenaire de sa naissance. Et puis, María Kodama (photo à la une) nous a fait partager sa vision de Borges.
María Kodama, écrivain, veuve de Jorge Luis Borges et présidente de la Fondation Internationale Jorge Luis Borges, s’est entretenue avec Philippe Lefait, Atiq Rahimi et Carla Fernandes à propos de Borges. Elle se fait la gardienne de sa mémoire, elle nous le présente sous un jour aimable, nous explique comment elle accompagnait le poète dans tous les moments de sa vie. Elle fait le portrait d’un Borges curieux, libre, voyant malgré sa cécité. Un Borges voyageur, figure du marcheur, dont le mouvement de l’écriture suivrait la marche. Un Borges amoureux, attentif, qui selon María Kodama, se plaisait à dire que nous ne pouvons donner que ce qui appartient aux autres. Elle a évoqué les grands thèmes de l’œuvre du poète en y apportant souvent un précieux éclairage. Dans le cadre du festival, elle a accordé à Philippe Lefait une interview très intéressante que nous pouvons retrouver sur You tube.
Avec la complicité de Paul-Henri Giraud et Jacques Aubergy, l’écrivain Alberto Ruy Sánchez a rendu hommage à Octavio Paz à partir de son livre Una introducción a Octavio Paz. Interrogé sur le sens de son œuvre, Alberto Ruy Sánchez présente le prix Nobel de littérature comme un homme épris de poésie depuis l’enfance mais qui n’hésite pas à s’engager politiquement, contrairement à ce que prétendent ses détracteurs. En 1937 il est invité en Espagne par les écrivains antifascistes et participe à l’accueil des exilés espagnols ; il sera aussi à l’origine de celui de Trotski au Mexique. Plus tard il démissionnera de son poste d’ambassadeur à la suite des massacres d’étudiants en 68 à Mexico. Dans son Traité sur l’écriture L’arc et la lyre, il montre les liens entre l’histoire et le chant. Plus tard, en temps que diplomate, il réside aux Usa, il fait de longs séjours à Paris où il rencontre Marcel Duchamp, reste quelques mois au Japon. Sa poésie est marquée par les pays qu’il visite, mais lorsqu’il est nommé ambassadeur en Inde, il fait l’expérience de l’Orient, sa poésie devient plus sensible, plus érotique. Il établit une fraternité cosmique avec le monde et semble envahi par un « sentiment océanique ». Alberto Ruy Sánchez nous dresse le portrait d’un homme libre qui écrit sur la politique, l’art, la poésie. Pour lui, l’historien parle des choses passées, le poète de ce qui aurait pu se passer, et il s’en sert afin d’explorer le futur. Pour Octavio Paz, selon Alberto Ruy Sánchez, la tâche de l’intellectuel serait de parler de la politique comme un poète. Cette conférence s’est achevée par la lecture d’un texte où Octavio Paz critique violemment l’économie de marché et le libéralisme. Enfin la projection de l’émouvant court métrage El lenguaje de los árboles de Claudio Isaac est venue clore cet hommage. L’écrivain y exprime l’amour qu’il éprouve pour les arbres, pour la femme qu’il aime, amour ouvert aussi sur l’autre, sur le prochain.
Dans un dialogue avec Jean-Marie Lemogodeuc et Jacques Aubergy, Patrick Deville, directeur à Saint-Nazaire de la Maison des écrivains étrangers et des traducteurs, lauréat du prix Fémina en 2012 pour Peste et Choléra, a présenté ses dernières publications (Le Seuil, 2014) : son roman Viva et la trilogie Sic transit, qui regroupe ses récits antérieurs : Pura vida, qui entraîne le lecteur au Nicaragua, à la découverte de William Walker, puis Equatoria, qui le plonge dans le continent africain, et enfin Kampuchéa, où il évoque le génocide cambodgien. Il fait une sorte de tour du monde et veut, dans ses romans, saisir un siècle et demi d’histoire. Tous commencent en 1860, pour lui date clé des débuts de la modernité. Il n’écrit pas de roman historique, mais des romans d’aventure sans fiction ; ses personnages sont historiques et, à partir des sources (mémoires, lettres, journaux…) il en retranscrit fidèlement les propos. Grand voyageur et habité par une curiosité infinie, il parcourt les espaces où ont vécu ses héros.
Son roman Viva, écrit en peu de mois après dix ans de recherches, se situe entre les années 20 et 40. Il met en scène deux personnages réels : Trotski et Lowry. L’un, russe, a été le chef de l’armée rouge, l’autre, anglais, poursuit l’écriture de son roman Au dessous du volcan. Tous deux se retrouvent au Mexique en 1937 mais ne se croiseront jamais. Bien que les faits soient réels, le narrateur, dans sa subjectivité, opère des choix, il nous présente son Trotski et son Lowry. Trotski se révèle aussi un remarquable écrivain, ce qui l’empêchera d’agir au bon moment. De son côté Lowry rêve d’action mais n’agit pas. Patrick Deville révèle le conflit intérieur de ces deux sujets, qui n’échappent pas à la condition humaine. Dans Viva, il mène une réflexion à la fois historique et philosophique.
Françoise DUBUIS