L’élection présidentielle du 5 octobre : un choix entre deux modèles idéologiques ?

Les candidates présidentielles Dilma Rousseff pour le Parti des Travailleurs et Marina Silva pour le Parti socialiste brésilien sont au coude à coude dans les derniers sondages. L’importance des revenus du pétrole. Les enjeux nationaux et internationaux.

Tout avait bien commencé, début 2014, pour la présidente Dilma Rousseff du Parti des Travailleurs (PT) qui se voyait déjà facilement réélue pour la période janvier 2015 à décembre 2018. Les sondages la donnaient gagnante avec 38 % des intentions de vote loin devant les 23 % de Aécio Neves du Parti social démocrate brésilien (PSDB) et des 9 % de Eduardo Campos du Parti socialiste brésilien (PSB). Ensemble, les huit autres candidats ne réunissaient pas 3 % des voix. Mais tout bascule le 13 août dernier lorsque l’avion transportant Campos vers un rendez-vous électoral s’écrase au sol tuant tous ses passagers.

 L’arrivée de Marina Silva

Le PSB devant redéfinir son candidat, se divise en deux secteurs : un premier souhaite s’unir à l’un ou l’autre des deux autres partis importants en lice, l’autre estime que le PSB doit se présenter seul et Campos doit être remplacé par Marina Silva, sa colistière.

Silva n’est pas une inconnue pour le peuple brésilien. Noire et issue d’une famille pauvre, elle entre jeune au convent mais en sort rapidement, travaille comme employée domestique, étudie l’Histoire à l’université et s’engage dans le syndicalisme. En 1990, elle est élue députée pour le PT et lorsque Lula gagne les élections présidentielles de 2003, il en fait sa ministre de l’Environnement pour ses positions écologistes, sa défense de l’Amazonie (elle est née à Rio Blanco à la frontière du Pérou) et des droits des indigènes.

Elle démissionne un an plus tard en opposition au choix de Lula d’accepter les cultures OGM et la construction de barrages en Amazonie, fonde son propre parti, Réseau durable (Rede), et se présente aux élections présidentielles de 2010 : elle y obtient la troisième place avec 20 millions de voix ! Mais son parti décline et elle décide de rejoindre le Parti socialiste brésilien. Eduardo Campos en fait sa colistière comptant bien bénéficier de ses 20 millions de voix. Elle ne fait pourtant pas l’unanimité dans le parti : les écologistes sont considérés par de nombreux socialistes comme « un corps étranger » dans le parti car ils s’opposent parfois à la ligne du parti et, plus récemment, elle ne s’entend pas avec le nouveau chef, Roberto Amaral. Lorsqu’elle est finalement nommée candidate présidentielle pour le PSB, le chef de campagne du défunt Campos, Carlos Siqueira, démissionne : « Marina ne représente pas ce qui motivait Eduardo Campos. Ils sont très différents politiquement et idéologiquement ». Le charisme de Marina Silva, sa défense de l’Amazonie, son passé de pauvreté et sa profession de foi en la religion évangélique lui attirent une grande notoriété : elle rattrape bientôt Dilma Rousseff dans les sondages d’août, reléguant le PSDB de Neves loin derrière…

 Un virage à droite

De fait, l’écologiste pure et dure a changé d’idéal politique : elle s’éloigne du centre gauche et se rapproche du courant qui cherche le retour au pouvoir des tenants du néolibéralisme et la fin de « l’ère Lula » commencée en 2003 et poursuivie par la présidente Rousseff. Pour preuve, Silva prend pour colistier Luiz Roberto Albuquerque, un grand propriétaire terrien lié à l’agrobusiness. Non seulement, sa campagne est financée par (entre autres) les entreprises Klabin (cellulose) et Semientes Roos (semencier pro-OGM), mais il est l’inspirateur de la loi qui autorise l’augmentation des cultures transgéniques au Brésil. Les ennemis de hier sont tout-à-coup devenus des partenaires !

Autres preuves de son évolution vers la droite : sa nomination enchante tant la revue Valeur Économique (« son choix de Albuquerque est réaliste ») que la chaine de presse O Globo, férocement anti-Lula. Il est à noter que la grande majorité des grands quotidiens brésiliens, dans les mains des oligarchies, se déchaîne quotidiennement contre la présidente Rousseff, Lula et le PT.

De plus, elle a choisi comme coordinatrice et responsable de la recherche de fonds de sa campagne, la millionnaire Maria Alice Setúbal, dont la famille est propriétaire de la banque Itaú, la plus importante des banques privées brésiliennes. Autre indice : elle est conseillée par l’ancien président Fernando Henrique Cardoso, chantre du néolibéralisme pour qui Dilma et le PT « sont les ennemis à vaincre ». Les sondages de fin août annoncent alors que, lors d’un second tour, Silva l’emporterait sur Rousseff ! Les cours de la Bourse montent…

 Le programme « mariniste »

Tout d’abord, « assurer l’indépendance de la Banque centrale, réduire les subventions aux banques d’aide au développement » ainsi qu’à la Caixa Economica qui finance la construction des logements populaires. Ensuite, « privatiser PetroBras », l’entreprise d’extraction du pétrole brésilien, et « abandonner le développement du PreSal », ce gigantesque gisement de pétrole récemment découvert au large des côtes. Finalement, prendre ses distances d’avec le MercoSur (1), pour se rapprocher de l’Alliance du Pacifique (2) et signer des traités de libre-échange avec les États-Unis et l’Union européenne. Bref, un retour aux politiques néolibérales d’avant Lula.

Son programme de 240 pages présente de nombreuses déclarations d’intention mais peu d’indication sur leur financement… Elle propose « une nouvelle politique post-partis », c’est-à-dire « au-delà des partis » ce qui, pour Dilma Rousseff, « est flirter avec l’autoritarisme… »

Autre preuve d’un virage à droite, le Club militaire, une association de militaires retraités qui défend le coup d’État de 1964, veut que le ministre de la Défense soit un militaire et exige le maintien des lois d’amnistie, donne son aval à la candidate du PSB.

 Dilma Rousseff contrattaque

Lors de divers débats télévisés entre les candidats présidentiels, la présidente-candidate Dilma Rousseff questionne les positions de Marina Silva : « Pourquoi ce mépris pour PetroBras et le Pre Sal ? Les revenus de ce pétrole vont permettre de financer les programmes de l’Éducation et de la Santé… Vous dîtes que vous développerez ces secteurs mais comment trouverez-vous les 140 milliards de reais que vous mentionnez dans votre programme (46 milliards d’euros) sans les ressources du pétrole? «  Pas de réponse claire de Silva. Rousseff rappelle que « depuis 2003, nous avons sorti 36 millions de personnes de la pauvreté et fait entrer 42 millions dans la classe moyenne ».

Pour le PT et Rousseff, l’indépendance de la Banque centrale préconisée par Silva revient à remettre la politique monétaire du pays dans les mains du marché et mettre fin aux politiques de redistribution des richesses.

Négliger les gisements du PreSal, c’est abandonner la politique énergétique indépendante du Brésil. Le PT allouera 7,5 % de ces revenus à l’Éducation et 2,5 % à la Santé. S’éloigner du MercoSur c’est abandonner les politiques régionales et internationales au profit d’accords avec les États-Unis.

Autre accusation de Rousseff contre Silva, ses changements de position sur des thèmes de société. Par exemple, un jour, elle défend le mariage pour tous, le lendemain elle se rétracte « pour des raisons religieuses », suite aux réclamations émises par les pasteurs évangéliques.

À la mi-septembre, Rousseff était créditée de 36 % des intentions de votes, Silva de 28 % et Neves de 15 %. Les cours de la Bourse redescendent… Mais lorsqu’un sondage annonce qu’au second tour (le 26 octobre), Silva l’emporterait avec 42 % contre les 41 % de Rousseff, la Bourse remonte, ce qui prouve clairement que les enjeux sont politiques mais aussi économiques…

La religion est un facteur non négligeable dans cette élection. Dilma Rousseff est une catholique, peu pratiquante il est vrai, mais les intentions des catholiques la donnent vainqueur avec 41 % contre les 36 % de Silva. Par contre, l’évangéliste très assidue Silva peut compter sur le vote évangéliste : 41 à 27.

 Des enjeux idéologiques nationaux…

Silva se propose « d’engager les meilleurs de n’importe quel parti » sans plus de précision. Rousseff rappelle que les divers gouvernements du PT ont créé et continuent de créer des emplois et de mettre sur pied des programmes sociaux. Elle craint que toutes ces réalisations soient mises en danger par les conseillers néolibéraux de Silva, des anciens ministres des ex-présidents Collor de Mello et Cardoso.

À ce propos, la FAO et le PMA (3) viennent de publier leur rapport « État de l’insécurité alimentaire dans le monde 2014 », qui montre que l’Amérique latine est le continent qui concentre le plus de pays ayant atteint l’Objectif du millénaire (des Nations unies) concernant la lutte contre la faim (4).

 … et internationaux

C’est le Brésil de Lula qui, le premier, a bloqué les projets ALCA (Association de Libre Commerce des Amériques) lancés par les États-Unis pour garder l’Amérique du Sud sous son contrôle politique et économique. Depuis, la politique internationale du Brésil s’est ouverte sur le reste des Amériques (Unasur et MercoSur, Celac) mais aussi sur le monde (BRICS)(5), une insertion réussie et indépendante dans la politique mondiale.

Silva semble préférer des accords de libre commerce bi-latéraux, un retour en arrière de dix ans, et surtout un retour vers un rapprochement avec les États-Unis qui, bien entendu, la soutiennent ! Quelle que soit la gagnante, elle devra composer avec d’autres partis car aucune n’aura de majorité au Parlement. L’allié traditionnel du PT est le… PSB, aujourd’hui l’adversaire. Il y aura nécessairement une recomposition des alliances et on peut s’imaginer que les négociations vont bon train !

A quelques jours du scrutin, le résultat du premier tour le 5 octobre, reste des plus incertains. Finalement, les Brésiliens devront choisir entre le retour du néolibéralisme cardosien d’avant Lula ou la continuation d’un gouvernement PT qui, malgré ses nombreux problèmes non résolus (corruption, ralentissement de l’économie, violence), a fortement réduit la pauvreté dans cet immense pays, huitième économie mondiale.

 Les autres candidats :

Jorge Eduardo du Parti Vert (PV)

Luciano Genro du Parti socialisme et liberté (PSOL)

Le Pasteur Everaldo Pereira du Parti social chrétien (PSC)

Eymael du Parti social démocrate chrétien (PSDC)

Levy Fidelix Parti rénovateur travailliste brésilien (PRTB)

Mauro Iasi du Parti communiste brésilien (PCB)

Rui Costa Pimenta Parti cause ouvrière (PCO)

Zé Maria du Parti socialiste des travailleurs unifiés (PSTU)

 

Jac FORTON

Notes
(1) Alliance politico-économique qui regroupe le Brésil, l’Argentine, le Venezuela, le Paraguay et l’Uruguay proches des thèses sociales démocrates.
(2) Alliance politico-économique qui regroupe le Chili, le Mexique, le Pérou et la Colombie, plus proches des thèses néolibérales.
(3) FAO : Organisation des Nations unies pour la nourriture et l’agriculture. PMA : Programme alimentaire mondial.
(4) Parmi eux, le Mexique, l’Argentine, les Barbades, le Chili, l’Uruguay, Cuba, le Venezuela et bien sûr le Brésil. Voir le site Economiahoy
(5) Unasur : Union des nations de l’Amérique du Sud, comprenant tous les pays du cône sud. Celac : Communauté des États latino-américains et caraïbes, comprenant tous les pays des Amériques sauf les États-Unis et le Canada. BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.