On a déjà vu beaucoup de reportages, de documentaires, beaucoup lu de romans sur la misère des favelas brésiliennes. Et pourtant, avec ce premier roman du Mexicain Alejandro Reyes, La petite reine de Bahia on découvre ce drame de l’intérieur, au quotidien, au plus près de trois enfants, victimes et acteurs, que l’on voit évoluer, souffrir, lutter pour survivre, pour finir par se créer, par exister.
L’horreur quotidienne est omniprésente, et pourtant ces personnages qui n’ont rien en commun avec un lecteur européen, sont montrés comme ce qu’ils sont vraiment, des personnes tour à tour d’une force admirable et d’une faiblesse tout émouvante. Betinho, le narrateur, a une douzaine d’années quand commence le récit, il a fui un taudis dans lequel sa mère l’ignore et son beau-père le viole et a rejoint la rue. C’est là qu’il rencontre Maria Aparecida, dix ans à peu près, qui se trouve dehors pour les mêmes raisons. Ils vont devenir inséparables (avec quelques éclipses), unis par un sentiment qu’ils ne parviendront jamais à définir : de la fraternité, de l’amour, de l’amitié ? Ils s’acceptent d’emblée, ce qui n’est pas tout à fait facile, lui accepte les crises de la fillette, crises incontrôlables qui la poussent parfois jusqu’au bord de la mort, elle accepte l’attirance de Betinho pour les garçons. Alejandro Reyes a passé neuf ans au contact de ces enfants naufragés, il les a vus se battre pour la survie, et il ajoute à cette connaissance le talent de raconter en n’oubliant jamais qu’il nous parle d’êtres humains : l’émotion ne quitte jamais ces quatre cents pages.
L’innocence la plus pure se trouve ici constamment au cœur des pires indignités : l’indignité est dehors, partout : les gamins qui se droguent par désespoir et qui peuvent en mourir avant d’être adolescents, les enfants utilisés, violés par un beau-père ou un oncle et qui acceptent sans se révolter, les adultes, indifférents à toute cette misère sans nom, trop occupés eux-mêmes par leur propre survie. La pureté est en eux, ce Betinho et cette Maria Parecida, qui découvrent au contact l’un de l’autre qu’existent des sentiments qu’ils sont incapables de nommer, mais dont ils savent qu’ils sont l’unique moteur de leurs vies. Ils ne sont pas parfaits, ces deux gosses, loin de là, elle pique de ces crises terribles de colère et d’auto-destruction, il est capable d’une violence froide, d’autant plus effrayante.
Et puis il y a ce sentiment de culpabilité, chacun se croit responsable de son malheur et de celui des autres. En fin de compte, tout se résume à l’idée que chacun lutte pour être quelque chose ou quelqu’un, pour exister en tant que personne, pour ne plus être un objet, sexuel le plus souvent, et enfin se sentir humain. Ce qui manque aussi, ce sont les exemples, tout ce qu’ils connaissent, c’est une mère qui accepte tout d’un concubin violent, un père qui abuse chaque jour de sa fille, un beau garçon séducteur qui se révèle être un proxénète, voilà ce qu’est le monde des adultes pour ces gamins à la dérive, alors vers où se tourner pour remonter, ou plutôt pour monter la pente ?
Le désespoir, s’il est bien présent, n’est que temporaire, provisoire, au bout d’un moment, ces gamins retrouvent toujours une planche de salut, s’y accrochent et découvrent des sources d’espoir qui parfois deviennent des océans et leur permettent de tenir. Le dernier des paradoxes de ce superbe roman, c’est que ces gamins des rues parviennent à nous donner une leçon de vie : merci pour tout cela, Alejandro Reyes !
Christian ROINAT
Alejandro Reyes : La petite reine de Bahia, traduit de l’espagnol (Mexique) par Alexandra Carrasco, Denoël, 415 p., 22,50 €.
En espagnol : La Reina del Cine Roma, Mondadori, México, 2013, roman qui a obtenu le Premio Lipp (2012).