Atteint par deux catastrophes en quelques jours, un séisme dans le nord du pays et un gigantesque incendie à Valparaíso, le Chili a retrouvé un immense esprit de solidarité citoyenne. De son côté, le gouvernement prépare la reconstruction. Entre catastrophes naturelles et précarité de la zone, il semblerait que la catastrophe aurait pu être moins dramatique avec une urbanisation plus contrôlée. Polémique : la pauvreté serait-elle la cause profonde de ce désastre ?
A Valparaíso, des milliers de volontaires sont venus de tout le pays pour aider les sinistrés à récupérer ce qui se peut, monter des tentes, réconforter les victimes, organiser la distribution de matériel de première nécessité (eau, couvertures, matelas, nourriture) envoyés des quatre coins du pays ou fournis par les autorités. Il sont aussi venus pour jouer avec les enfants, soigner les blessés et surtout, véritables fourmis humaines, former de longues chaines accrochées aux pentes abruptes des cerros (collines) pour déblayer les décombres… Une solidarité “qui étreint le cœur” comme l’exprime une victime. Partout des drapeaux chiliens, symboles d’une volonté de se remettre debout… Comme disent les volontaires : “Un peuple frappé par les éléments mais pas vaincu…”
Ces volontaires viennent de tous les horizons. Les premiers sur le terrain furent les brigadistes de la CONAF (Commission des forêts) et les pompiers locaux. Rien ne permettait de deviner que le feu allait s’étendre à une demi-douzaine de cerros à cette vitesse. Ce n’est pas la première fois qu’un incendie touche ces collines mais un vent intense s’est soudainement levé et les pompiers ont vite été dépassés. Au Chili, ce corps est constitué uniquement de volontaires qui, considérant leur travail comme une vocation, ne veulent pas être rémunérés ! Par contre, ils demandent depuis belle lurette que l’État améliore leurs équipements. En effet, certains de leurs camions restent en activité 15 ans ou plus au-delà de leur vie utile ! Le président de l’association des pompiers du Chili, Miguel Reyes, rappelle que l’apport de l’État ne couvre que 55 % des besoins des 312 compagnies du pays. On voit régulièrement des pompiers faire la manche sur les routes pour récolter quelques sous. Un scandale vient d’éclater lorsqu’une vidéo a révélé que les camions de pompiers en action d’urgence sont obligés de s’arrêter pour payer le péage sur l’autoroute ! Le gouvernement a promis d’enquêter.
Une ville mythique à configuration chaotique
Valparaíso se caractérise par une vaste baie vers laquelle convergent 44 cerros (collines), tous plus abrupts les uns que les autres. Au XIXe siècle, le port était prospère et dynamique car le point de passage obligé sur la route maritime reliant l’Atlantique au Pacifique. Au fur et à mesure que l’extension de la ville en faisait sentir le besoin, ces collines furent peuplées par un enchevêtrement apparemment inextricable de maisons. La construction du canal de Panamá au début du XXe siècle puis les “lois du marché”dans la seconde moitié du siècle, ont provoqué le déclin du port et sa paupérisation. Les habitants ont été forcés de migrer vers les périphéries, toujours plus loin du centre, toujours plus haut sur des cerros de plus en plus escarpés. Ces quartiers sont devenus de véritables bidonvilles, les pobladores utilisant chaque cm2 de terrain plat ou s’accrochant à la colline par des constructions sur pilotis semblant défier les lois de la gravité. Ces maisons bariolées érigées parfois en surplomb d’une construction déjà existante le long de rues escarpées. Une histoire prestigieuse et un port mythique (arriver sain et sauf après avoir passé le Cap Horn) ont donné à la ville ce style si particulier qui lui a valu d’être classée patrimoine mondial de l’Unesco en 2004. Mais cette configuration d’un développement urbain incontrôlé, certes pittoresque pour les visiteurs, est aussi une des causes principales du chaos à l’heure du désastre.
Les causes du désastre
Le sinistre, dont on ignore toujours l’origine, a provoqué la mort de 15 personnes, plus de 1000 hectares de collines brûlés, 2 500 maisons détruites, plus de 15 000 sinistrés. Pour le sociologue chilien Sergio Grez,“cette situation n’est pas le produit d’une fatalité historique ou géographique, mais le résultat d’une structure sociale profondément polarisée… Valparaíso a vu s’accentuer sa pauvreté ces dernières décennies d’où ces constructions précaires construites à des endroits non adaptés à l’habitat humain, auxquels les services basiques (eau, électricité, poubelles, éclairage public, rues et escaliers) n’arrivent pas de manière adéquate, mais seulement de manière précaire et ‘sauvage’, à l’initiative des pobladores eux-mêmes. Tout cela a créé un phénomène de surpeuplement, des logements insalubres et une accumulation de grandes quantités de déchets dans les ravins, qui, en cas d’incendie, se convertissent en combustible…” (1)
Le président du collège des architectes du Chili, Sébastian Gray, confirme : “40 ans de croissance sans contrôle et une occupation des sols restées dans l’arbitraire des habitants, ont créé une géographie chaotique qui a empêché le passage des véhicules d’urgence…”. Interviewé par la BBC, le professeur universitaire Miguel Castillo rappelle qu’en mars 2013, il avait écrit au journal El Mercurio de Valparaíso expliquant qu’après une longue étude, “il avait identifié 23 foyers de vulnérabilité aux incendies dans la ville. Dans ces 23 sites, il y avait de la végétation, des maisons en matériaux inflammables et des détritus. En cas d’incendie, ces sites étaient presque inaccessibles aux services d’urgence et il serait difficile de l’éteindre”. Exactement ce qui s’est passé… (2). Alors, au-delà du vent, un certain consensus se fait jour : la pauvreté obligeant les gens à vivre dans ces bidonvilles est un des principaux facteurs ayant mené à cette tragédie. Les autorités semblent l’avoir également perçu car les plans de reconstruction s’annoncent de grande ampleur.
Les réactions officielles
Lors du séisme de 2010 dans le sud du Chili, l’administration de Michelle Bachelet (en fin de mandat) avait été accusée de désinformation (elle n’avait pas annoncé le tsunami qui a noyé près de 500 personnes) et de mauvaise gestion des secours. À nouveau présidente, madame Bachelet ne fera pas la même erreur. Elle a rapidement pris une série de mesures destinées à pallier aux besoins essentiels immédiats et mis sur pied une commission pluri-ministérielle chargée de la seconde étape, le relogement immédiat des sinistrés. Chaque famille a le choix entre un subside de logement pour louer une ou deux pièces dans la ville, un subside d’accueil pour aider les familles qui accueillent leurs parents chez eux, ou l’attribution d’un logement d’urgence sur le site de leur maison détruite. Le ministre de l’Intérieur, Rodrigo Peñailillo, a annoncé que l’État prendrait en charge le financement de la totalité de la construction des 2 000 logements d’urgence prévus après un relevé précis des maisons détruites et en attendant le début de la troisième étape, celle d’une reconstruction planifiée. Chaque famille se verra attribuer un bon de 200 mille pesos (270 euros) pour l’achat de vêtements et un million de pesos (1300 euros) pour l’achat de mobilier intérieur. L’État donnera 650 000 euros à la ville de Valparaíso pour financer le retrait massif des décombres et la réhabilitation des sites en prévision de la reconstruction.
Sur le plan politique, la présidente Michelle Bachelet a annoncé qu’elle désignera trois délégués spéciaux pour les deux régions atteintes par le séisme d’avril dernier dans le nord du pays et pour l’incendie de Valparaíso. Leur rôle sera de coordonner la reconstruction. Elle propose de créer un nouveau plan cadre pour réorganiser la planification de la commune dont l’objectif est de prévenir un tel désastre dans le futur et éviter les problèmes qui ont fait obstacle à l’aide aux sinistrés. Pour le moment, l’extraordinaire solidarité des Chiliens a permis d’éviter une catastrophe humaine, chaque famille recevant une aide immédiate généreuse de la part des citoyens, en nourriture, couvertures, matelas, etc. De leur côté, les autorités régionales et nationales ont immédiatement annoncé des mesures qui rassurent les sinistrés : tous auront droit à une aide financière et matérielle de l’État pour refaire leur vie. Le ministère de l’Économie vient d’annoncer qu’il ouvrira deux lignes de financement pour relancer l’économie locale en aidant les petites entreprises formelles et informelles à racheter des machines, des matières premières, des marchandises ou des outils. La troisième étape, celle de la reconstruction définitive, sera plus complexe et politique. Les gens veulent reconstruire là où ils habitaient et l’État souhaite une reconstruction ordonnée et contrôlée pour éviter la reproduction d’un tel désastre. Concilier les deux ne sera pas facile…
Jac Forton
Notes
(1) Lire l’article de Mathieu Dejean, “Incendie meurtrier à Valparaiso: une catastrophe pas si ‘naturelle’”
(2) Lire l’article complet de Paula Molina, “Incendio en Valparaíso: la fragilidad de la ciudad Patrimonio de la Humanidad”
Pour visualiser les zones atteintes sur une infographie : cliquez-ici