Une enquête nationale de grande ampleur sur les conditions de travail et d’exploitation des ouvriers agricoles au Guatemala montre la situation extrêmement précaire, proche de l’esclavage, que subissent les travailleurs agricoles dans ce pays (1).
La propriété et la répartition de la terre ont toujours été un point d’achoppement au Guatemala, ainsi que la source de nombreux conflits violents, des relations de pouvoir, de la stratification économique et de classes de ce pays. L’histoire de l’accumulation de la terre par un très petit nombre de propriétaires a non seulement engendré le latifundisme (grandes propriétés terriennes), les inégalités socio-économiques et l’insécurité alimentaire, mais par-dessus tout, elle a réduit les majorités dépossédées de la terre à quémander dans les fincas (grandes exploitations agricoles) un travail de journaliers surexploités.
Le problème lié à la terre au Guatemala doit se penser en tant que problème anthropologique. Les paysans et les peuples autochtones dépossédés de leurs terres sont amenés à se considérer comme une “sous-humanité” alors que les patrons et entrepreneurs des fincas s’arrogent des qualités “d’hommes supérieurs”. Pour les patrons, les travailleurs journaliers (anciennement propriétaires légitimes de ces mêmes terres) ne sont que des instruments de l’exploitation de la terre. Et lorsque ces derniers prennent conscience de leurs droits et s’organisent pour les défendre, les propriétaires les dénoncent comme des criminels, les persécutent et les emprisonnent. S’ils sont des dirigeants sociaux et syndicaux, ils vont jusqu’à les faire disparaître.
Pour prendre conscience de l’ampleur de ce phénomène d’exploitation, le CODECA (Comité de Desarollo Campesino, Comité de développement paysan), une organisation de paysans et de peuples autochtones qui lutte pour la justice et de meilleures conditions de vie dans les zones rurales, a récemment mené une vaste enquête. Les résultats ont été analysés à la lumière de la législation nationale et des conventions internationales, en particulier celles de l’OIT (Organisation internationale du travail), ratifiées par le Guatemala. Durant l’enquête sur les conditions de travail des travailleurs (hommes, femmes et enfants), des dirigeants sociaux et syndicaux ont été persécutés et emprisonnés et plusieurs d’entre eux assassinés. Les défenseurs des droits humains qui ont recueilli les faits pour élucider ces assassinats ont été menacés et poursuivis par des personnes non identifiées.
Une situation aberrante
Tout d’abord, 69 % des travailleurs agricoles se définissent eux-mêmes comme Maya et seulement 6 % comme métis. 25 % sont des femmes et 11 % des enfants. A peine 14 % des travailleurs indiquent qu’ils travaillent huit heures par jour, plus de 70 % travaillant entre neuf heures et douze heures par jour sans se voir rémunérer pour leurs heures supplémentaires. L’unité de mesure du travail est la quantité produite par jour ; 57 % des journaliers indiquent qu’ils ont besoin de l’aide de leur famille (femmes et enfants) pour terminer la tâche quotidienne imposée pour la production mais toujours pour le même salaire. 90 % des travailleurs gagnent un salaire mensuel inférieur au salaire minimum. Pour les femmes travailleuses, ce taux passe à 97 %. La vaste majorité des travailleurs n’est pas affiliées à la sécurité sociale. Aux vues de leur faible niveau de formation et d’éducation et le déficit organisationnel, les travailleurs agricoles du Guatemala méconnaissent leurs droits, reconnus pourtant dans la législation nationale et les conventions internationales. Ce manque de connaissance les met dans une situation de vulnérabilité et de désavantage face à des intermédiaires et des employeurs sans scrupule lors de la conclusion de contrats de travail et même devant les tribunaux. Les contrats de travail dans les fincas sont oraux : seuls 4 % des journaliers indiquent qu’ils ont un contrat à durée indéterminée. Quiconque tente de s’organiser en syndicat est immédiatement sanctionné par la perte de son travail. Le contrôle par l’État des conditions de travail est quasi nul. 1 % des journaliers seulement répond avoir eu connaissance de la visite des inspecteurs du travail et 82 % des journaliers signalent que ces inspecteurs sont corrompus par les patrons des fincas.
S’agissant de la situation des jeunes, leur “espérance de vie” dans les exploitations agricoles “modernes” est d’environ 40 ans. Les atteintes à leur santé les rendent “improductifs” selon les critères des fincas. Ils survivent alors sans l’aide de l’État et sans droits, malgré les lois nationales et conventions internationales en vigueur.
Ces quelques chiffres ne peuvent évidemment pas exprimer pleinement l’amplitude de la tragédie vécue au quotidien par les journaliers, hommes, femmes ou enfants, hantés par la peur d’être licenciés, désespérés de subir ce travail qui s’apparente à de l’esclavage et pourtant leur unique possibilité de survie.
Une analyse corroborée par l’ONU
Le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation des Nations unies, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et le Comité des droits de l’homme constatent que 80 % des terres arables sont détenues par 2 % de la population alors que, bien que majoritaires, les peuples autochtones de ce pays n’ont accès qu’à 2,5 % des terres et sont victimes de discrimination et d’exclusion. Face à cette inégalité criante, il n’est pas étonnant de constater que 74,8 % des autochtones vivent dans la pauvreté et 58,6 % des enfants autochtones souffrent de malnutrition. Quant aux 475 600 travailleurs agricoles, l’écrasante majorité vit dans la pauvreté, sans accès à une nourriture suffisante, à l’eau et à un logement adéquat, avec une scolarisation en moyenne de 2,4 années.
Une réforme agraire indispensable
À l’égard de ce qui précède, les associations de défense des droits humains appuient les revendications du CODECA et les recommandations des organes onusiens des droits humains. En septembre 2013, le CETIM a présenté une déclaration écrite durant la 24ème session du Conseil des droits de l’homme pour relayer les résultats de l’enquête de son partenaire CODECA sur la situation des paysans et des travailleurs agricoles au Guatemala. Ces revendications consistent, entre autres, à exiger du gouvernement guatémaltèque de procéder en urgence à une réforme agraire, à faire respecter les lois et règlements du travail et à instaurer un salaire minimum dans le secteur agricole.
Le gouvernement guatémaltèque doit respecter ses engagements internationaux, en particulier les deux Pactes internationaux en matière de droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, ainsi que le de droit du travail, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la Déclaration sur les droits des peuples autochtones et les Conventions de l’OIT. Ces associations appellent le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à prêter attention aux violations généralisées et persistantes des droits humains dont sont victimes les peuples autochtones du Guatemala (2).
Jac FORTON
Notes
(1)L’intégralité de ce document (en espagnol) est disponible : ici
(2)Cet article est l’adaptation d’un texte publié par le Centre Europe Tiers Monde (CETIM) de Genève dans son Bulletin n° 46 de décembre 2013, avec l’accord de l’association.
Pour en savoir plus : www.cetim.ch, www.asociacioncodeca.org