Heli, le film mexicain d’Amat Escalante a fait débat lors du dernier Festival de Cannes où il a remporté le Prix de la mise en scène. Cinéaste exigeant déjà dans ses précédents films comme Sangre en 2005 ou Los Bastardos en 2009, “ il nous offre à nouveau une œuvre brillante,brûlante et forte, sans pathos ni complaisance” comme l’explique Michel Dulac dans son texte de présentation du film dans Salsa picante, le journal du Festival des Reflets de Lyon-Villeurbanne, à qui nous emprunterons toutes les citations.
Nous sommes au Mexique, quelque part dans le nord – le tournage ayant eu lieu à Guanajuato. Héli, le protagoniste, habite dans une petite maison, dans un hameau isolé, avec son père, sa femme, son bébé et sa petite sœur. Tout ici est promiscuité, on devine que ces constructions permettent, en réalité, de loger des ouvriers qui travaillent dans une “maquiladora” proche. Heli et son père se partagent ainsi cet emploi précaire. Quant à sa jeune sœur, elle est encore à l’école même si avec son copain Beto, policier stagiaire, elle se voit déjà fonder une famille. Beto est jeune et inconscient. Il ne réalise pas que le vol de quelques kilos de drogue va signifier la fin de la quiétude de cette famille.
“Sur tous ces films sur lesquels j’ai travaillé, déclare Daniela Schneider, – père du cinéaste et directeur artistique du film – dans une interview pour Médiapart, je pense qu’il est impossible de ne pas parler des thèmes sociaux. Le cinéaste est nécessairement politique parce qu’il pose un point de vue en tant qu’artiste sur la réalité. Même si la complexité de la politique mexicaine peut dépasser Amat Escalante sur Heli, sa sensibilité en tant qu’être humain vivant à Guanajuato, lieu de tournage du film, conduit à une compréhension politique de ce qui se passe. Le sujet du film n’est pas la corruption, le narcotrafic mais bien davantage l’humanité à travers l’expérience de sa propre vie.”
“Si je dois montrer la violence, ajoutait Amat Escalante à la conférence de presse du Festival de Cannes, je le fais sans détour, et même de façon morale. Quel est l’intérêt de ne pas la montrer, juste pour que le public traverse l’histoire sans trop souffrir. La violence n’est pas comme ça dans la vie. Comme on le voit dans le film, c’est douloureux, déplaisant, déprimant et triste. Donc, si je dois aborder la violence, j’y vais, nous n’avons pas à faire une comédie. Nous avons peut-être des moments amusants mais Heli n’est pas une comédie, donc sur le plan moral c’est de notre responsabilité de montrer la violence telle qu’elle est : triste, déplaisante et sale (…) Je montre des situations extrêmes. Au Mexique, tout le monde vit avec une forme de peur au ventre. La violence est une réalité de chaque instant, même s’il ne vous affecte pas directement. Il ajoutait L’aspect religieux est très présent dans le film. Ici l’avortement est interdit et très sévèrement puni. C’est pourquoi beaucoup de très jeunes filles – comme l’héroïne de mon film – se retrouve mères avant l’adolescence.”
“Peu de réalisateurs, déclarait Jacques Mandelbaum dans Le Monde, filment le Mexique, la fatalité de sa violence […] et l’impuissance de l’État comme Escalante. Avec si peu de pathos, si peu de graisse et d’apitoiement, et tant de justesse dans le regard, tant d’acuité dans l’évocation de l’horreur et de l’accablement, tant d’humour aussi parfois, surréel, insolite, cruel, bunuelien pour tout dire. Avec les films mexicains de Carlos Reygadas – par ailleurs producteur d’Heli – et de Gerardo Naranjo, ceux d’Amat Escalante marquent profondément le spectateur. A voir à partir du 9 avril.
Alain LIATARD
d’après Michel Dulac
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