Le Salon du Livre de Paris, c’est une très grande machine, avec ses codes, les inévitables queues face à quelques “vedettes” qui sont rarement de vrais écrivains et encore moins souvent des écrivains de talent, des dizaines d’autres auteurs qui bâillent derrière leur table en attendant la signature qui les tirera de l’ennui et une foule de figures anonymes, qui sont attachées de presse ou directeurs de collections. Ce sont de jolis stands, en général modestes, parfois énormes sur lesquels personne ne sait qui est qui, et encore moins qui viendra à quelle heure. Et l’on a tendance à davantage parler de chiffres de tirages que de qualités littéraires.
Heureusement il y a des exceptions et mes rencontres de ce samedi, entre premier contact avec des auteurs qu’on a lus et aimés et retrouvailles avec d’anciens invités de Belles latinas ont été riches de dialogues le plus souvent passionnés. Arrivés tôt en compagnie de Françoise et Michel Dubuis, chroniqueurs à Espaces latinos, nous tentons de rencontrer les auteurs argentins présents, ce qui n’est pas toujours facile, car ils sont très sollicités par des interviews, des tables rondes, des débats de toute sorte. Entre deux activités, ils se retrouvent au stand de leur éditeur et signent leurs ouvrages avec un succès variable, la concurrence est rude !
Nous avions lu et beaucoup aimé le roman de Eduardo Sacheri, Petits papiers au gré du vent (Héloïse d’Ormesson). L’homme est souriant, ouvert, il nous parle de sa passion, très argentine, pour le football et, justement, de son prochain recueil de nouvelles centrées sur le foot, qui sort en mai en Espagne (Alfaguara) et de son prochain roman, dont le titre n’est pas encore définitif, publié en Argentine en juin. Vanessa Capieu, sa jeune traductrice, est présente. Elle est aussi chargée par Gallimard de traduire les derniers romans de Carlos Fuentes et, après La volonté et la fortune, elle travaille sur les deux ultimes, qui sortiront respectivement en 2015 et 2016 probablement.
Une autre découverte récente, c’est Selva Almada, qui vient tout juste de publier Après l’orage (Métailié), un roman d’une grande poésie malgré sa rigueur, un roman parfaitement maîtrisé, très original aussi. Elle est très sollicitée (une critique élogieuse dans un grand quotidien du soir a dû aider à la faire connaître), et il est réconfortant de voir que la curiosité, le goût de la découverte existent bien chez les lecteurs. Selva sera peut-être parmi nos invités prochains. À côté d’elle, sur un stand où l’on sent l’amitié qu’Anne-Marie Métailié partage avec ses auteurs, Santiago Gamboa et Elsa Osorio, qui n’en sont pas à leur premier Salon, Pablo de Santis que nous manquons, toujours entre deux interviews (son dernier roman, Crimes et jardins a eu une très bonne presse et il est très demandé) et le photographe Daniel Mordzinski, visiblement heureux de ce contact avec le public qui n’est pas si fréquent.
Pas d’Argentin chez Christian Bourgois ce samedi, mais le Mexicain Martín Solares, auteur du polar Les minutes noires, qui, contrairement à ses écrits, est en permanence jovial et prolixe, et qui nous donne une bonne nouvelle : il est en train de mettre la main à son nouveau roman, qui devrait sortir au Mexique cette année. Chez Actes Sud, Claudia Piñeiro parle avec son traducteur Romain Magras de leur nouveau projet : la publication en France de Tuya, un joli thriller sur la jalousie. Buchet Chastel vient tout juste de sortir le nouveau roman, Parler seul, d’Andrés Neuman, moitié Argentin, moitié Espagnol, ni l’un ni l’autre, les deux à la fois. Andrés est semblable à lui-même, et on a du mal à imaginer la profondeur de ses textes en le voyant perpétuellement débordant de sympathie et de fantaisie, toujours tourné vers les autres.
Du côté des éditeurs, une revue nous est proposée par sa créatrice, Françoise Favretto : L’Intranquille dans laquelle cohabitent dessins d’humour très drôles, traductions, extraits de journaux intimes et tout un dossier sur l’Argentine, belle occasion de faire là aussi quelques découvertes, de poètes argentins vivant des deux côtés de l’Atlantique (Voir le blog : CHRONERCRI pour se procurer la revue).
Arianne Fasquelle, des Éditions Grasset, nous dit sa fierté, justifiée, de publier une nouvelle édition de ce sommet de la création argentine, Adán Buenosayres de Leopoldo Marechal, paru pour la première fois en 1948 à Buenos Aires, un sommet qui a été un peu négligé par les tenants du Boom (il était peut-être de forme un peu trop “classique”) et qui bénéficie là d’une nouvelle chance. Les “petits” éditeurs ne sont pas en reste, bien au contraire, il y a beaucoup d’activité chez Christophe Lucquin (on parlera dans les prochaines semaines du deuxième opus de Felipe Polleri, Baudelaire) et chez Asphalte où on attend plusieurs nouveaux auteurs de diverses parties du continent.
Et, puisqu’on ne peut pas tout faire en une journée et que chacun déborde d’activités, on n’aura que quelques secondes pour saluer avec affection Alicia Dujovne Ortiz ou Ana María Shua, qui participent à un débat, ou Laura Alcoba devant laquelle se trouve une file de lecteurs qui attendent, leur exemplaire à la main, la signature de leur auteure favorite.
En guise d’épilogue à cette journée, le lendemain dimanche, au cimetière du Montparnasse, dans un froid humide et sous la pluie, une visite sur la tombe de Julio Cortázar, dont le centenaire de la naissance était célébré au Salon, une tombe simple mais plutôt laide, à la mode des années 80, recouverte de petits cailloux et de quelques fleurs séchées, et aussi de mots, de bouts de phrases, de choses écrites. Sûrement, il aurait aimé.
Christian ROINAT