Des montagnes suisses aux vallées du Pendjab… Un jeune magistrat traverse l’océan pour se rendre en Inde où il doit rencontrer Bouddah l’Éternel et lui remettre l’héritage mystérieux que lui a légué un vieux magicien. Avec Le Testament du magicien ténor, l’écrivain argentin César Aira signe un roman inclassable où le réel se perd aux confins de l’imaginaire, de la poésie et de la philosophie.
Sur le point de mourir, dans la demeure où il réside, en Suisse, le Magicien Ténor convoque à son chevet son chargé d’affaires le président Hoffmann, éminent juriste du barreau de Lausanne, pour lui faire part de sa dernière volonté : remettre à Bouddha l’Éternel une enveloppe renfermant le secret d’un mystérieux tour de magie. Le magistrat confie cette mission à Jean Ball – Djinn Bowl – un jeune avocat qui s’embarque pour l’Inde. Pendant la traversée, il noue une liaison avec Palmyra, à la beauté énigmatique et fascinante qui lui fera les honneurs de Bombay avant qu’il ne se rende dans une vallée reculée du Pendjab où vivent Bouddah l’Éternel, minuscule divinité ruinée, au comportement puéril, et sa gouvernante, l’étonnante Madame Gohu au passé rocambolesque, que lui a imposée la société Brain Force, chargée d’administrer ses biens et de gérer son image.
Une cascade de péripéties improbables fait de l’intrigue, conduite avec brio, une sorte de puzzle mouvant qui aiguise l’imagination et entraîne le lecteur dans un monde où tout repère devient fluctuant, fuyant. Même les frontières se déplacent, celles du Népal, celles de la réalité. Ainsi des objets sont détournés de leur utilisation première, les contraires (haut et bas, jour et nuit, instant et éternité…) se manifestent simultanément dans un même lieu. Ainsi se côtoient simples mortels et fantômes, héros de légende et personnages historiques (un bel hommage est rendu à Benazir Bhutto dans le dernier chapitre).
La langue de César Aira, claire, limpide, épouse admirablement les méandres du récit. Le roman s’ouvre sur une description magistrale, somptueuse, – digne de Borges, diront certains – de la grande propriété délabrée où se meurt le Magicien Ténor, puis l’écriture se fait vive, incisive, parfois ironique, toujours riche en métaphores. Actions et personnages prennent alors une dimension nouvelle, le rythme devient vertigineux, les images s’enchaînent et on bascule dans cet univers de “belles asymétries” et d’“énumérations chaotiques” cher à l’auteur.
Mireille et Jean-Paul BOSTBARGE